LIMA
Brève histoire de la "Cité des Rois"

La ville de Lima fut officiellement fondée par Francisco Pizarro le 18 Janvier 1535 - jour de l’Épiphanie, sous le vocable de Ciudad de los Reyes. Le site choisi pour devenir la future capitale de la vice-royauté du Pérou s'étendait entre la mer et le cours du Rio Rimac. Ce dernier nom fut rapidement déformé en "Limac" puis en "Lima", d'où le nom actuel. L'endroit n'était pas désert : la vallée du Rio Rimac avait été un lieu d'implantation de plusieurs cultures successives et était alors parsemée de temples et de pyramides dont une bonne partie disparut lors de la construction de la ville espagnole. Un peu plus au Sud se dressait le grand centre cérémoniel de Pachacamac, que le frère de Francisco Pizarro, Hernando, était allé reconnaître - et mettre à sac - en 1532.


Plan de Lima en 1714 par le Père Feuillée (collec. G. Théret) - La statue équestre de Francisco Pizarro qui ornait depuis 1950 la Plaza de Armas de Lima en fut retirée en 2003, comme un acte ultime d'émancipation et d'abandon volontaire du passé colonial.

Dans le centre historique (le “casco viejo” ou encore le "cercado" parce qu’il était jadis entouré de murailles), l’urbanisme colonial présente un classique plan à damiers où tous les pâtés de maisons ont un plan carré aux dimensions à peu près identiques. Il aurait été dessiné par le conquistador Diego de Aguero, qui divisa la ville en 117 manzanas (ou lots à bâtir) chacun divisé en 4 solares (les futures demeures) organisés à partir de la Plaza de Armas, bordée par les bâtiments symboliques du pouvoir : le palais de Francisco Pizarro, la cathédrale, le cabildo.

Après les guerres civiles entre conquistadores, culminant par l'assassinat de Francisco Pizarro en 1541 et l'exécution de Gonzalo Pizarro en 1548, la couronne d'Espagne prend fermement en main les rênes du Pérou, surtout à partir de l'arrivée du vice-roi Francisco de Toledo en 1569. A partir de cette date, Lima devient la plus grande capitale de l'Amérique espagnole, dotée de fonctions politiques et religieuses très importantes : elle est le siège de la Vice Royauté du Pérou, elle compte de nombreux couvents et églises où tous les ordres sont représentés, et son port ayant le monopôle du commerce avec l'Espagne, elle jouit d'une grande animation commerciale. Elle voit naître également la première université fondée sur le continent américain, celle de San Marcos, dès 1551.

L'âge d'or des vice-rois (17e-18e s.)
Alors que la cité des vice-rois atteint le faîte de sa puissance, le 20 octobre 1687 au petit matin, un terrible tremblement de terre jette à bas les cinq mille demeures des 163 manzanas qui composaient alors le damier hérité de Pizarro. Les 65 églises de Lima étaient à demi détruites : on dénombra sur le coup près de 500 morts, mais les épidémies qui se déclenchèrent peu après firent près de 3000 victimes dans les mois qui suivirent. Ce fut à l'occasion de ce séisme que naquit la très liménienne tradition du Señor de los Milagros, dont la procession annuelle, dans la deuxième quinzaine d'octobre, réunit encore aujourd'hui des foules considérables. Le séisme de 1687 marque la fin d'une première Lima, celle des conquistadors et des débuts de la colonisation espagnole. Il n'en reste pratiquement plus aucune trace : les anciennes demeures durent être complètement rebâties et les églises furent reconstruites ou alors restaurées dans des styles déjà différents. Et le pire était encore à venir...


L'Inquisition à Lima : une cérémonie d'autodafe sur la Place d'Armes (17e s.)

L' apogée de la ville se situe de la fin du 17e jusqu'au milieu du 18e siècle. A cette époque, Lima, « la perle du Pacifique », était réputée pour son luxe tapageur et sa frivolité. C'était la ville des gracieuses tapadas, femmes voilées à la mode mauresque, la ville des courtisanes, comme cette fameuse Périchole, pour laquelle le vice-roi Amat fit reconstruire tout un quartier, celui de Rimac, mais aussi celle des couvents innombrables et de l'ascétique sainte Rose de Lima, qui jeta la clé de son cilice au fond d’un puits. Une grande partie de cette Lima disparut à tout jamais lors du terrible tremblement de terre de 1746, suivi de d’un raz-de-marée qui emporta aussi le vieux port de Callao. De cette époque d'or, le séisme n'a quasiment rien laissé. Les monuments anciens qui subsistent aujourd'hui sont postérieurs. Les maisons basses du centre, avec leurs lourds balcons de bois ou les majestueux patios andalous que l'on peut encore entrevoir datent de la fin du 18e s. pour les plus anciennes. Les églises et les couvents qui ne furent pas complètement détruits, furent ensuite largement remaniés au 19e s. pour la plupart.

Lima républicaine (19e s.)
Au début du 19e s. la lutte pour l’indépendance contre la couronne espagnole et surtout la longue période de guerres civiles entre caudillos (chefs militaires) qui s’ensuivit marquèrent pour la ville une période de stagnation économique sans que pour autant ne cessât de s’accroître sa population : entre 1700 et 1821, elle était passée de 37 000 à 64 000 habitants, de 1876 à 1908, de 100 000 à 140 000. La situation s’améliora dans les années 1840 à 1860 (encore très agitées politiquement) grâce à la montée des cours du salpêtre et la ressource très rentable de l’extraction du guano. De cette époque, les voyageurs font de Lima un portrait peu amène, mettant l’accent sur son caractère secret, incompréhensible et malpropre. Herman Melville, l’auteur de Moby Dick, la décrit comme une ville « grise, étrange et fantasmagorique, qui inspire le cauchemar ». Malgré tout, elle se dote du premier chemin de fer construit en Amérique du sud (1851) et entre dans la modernité en organisant l'exposition universelle de 1872 qui est pour la ville une petite révolution urbanistique : les premiers bâtiments d'influence européenne y apparaissent : le palais de l'exposition (aujourd'hui Museo de Arte) est le premier à être réalisé avec une armature métallique. Hélas, la Guerre du Pacifique (1879-1882) perdue contre les Chiliens verra l’occupation de Lima par les troupes ennemies, au prix de nombreuses destructions, dont celle des quartiers balnéaires de Miraflores et Chorrillos. Lima restera occupée jusqu'à la signature du traité d'Ancón, en 1884.


La Place d'Armes de Lima en 1860 (photographie des frères Courret) : misérable et peu engageante - Après la bataille de San Juan de Chorrillos (13 janvier 1881), les troupes chiliennes entrent dans Lima.

La Belle Époque (1890-1930)
Le Pérou va rapidement se rétablir de cette guerre perdue, grâce à la hausse du coût des matières premières (agriculture, minerai, caoutchouc) survenue vers 1890. Des investisseurs étrangers débarquent à Lima qui va connaître une véritable renaissance et s’offre un visage « Belle Époque », jusque dans les années 1930, au terme de ce que l'on appella le "onceño", les onze ans de présidence de Augusto B. Leguia. La ville, qui commence à exploser hors de son corset colonial (les anciennes murailles ont été abattues en 1872) est en grande partie remodelée : on trace de larges avenues, des places, on installe l’éclairage public, on dresse des monuments, le palais présidentiel est reconstruit sur les dessins d'un architecte français, on inaugure un parc des expositions, des musées, des théâtres… L’urbanisme devient débridé et les plus fortunés se font construire d’extravagantes résidences où se mêlent tous les styles : folies Renaissance ou mauresques, manoirs Tudor, chalets suisses, maisons basques, dont on voit encore d’étonnants témoins à Miraflores, San Isidro ou Barranco; cet engouement fut sévèrement qualifié de «cosmopolitisme de carte postale» par l’historien de l’architecture Hector Velarde. Plus utile, on modernise le port de Callao et l’on construit vers la cordillère des Andes une ligne de chemin de fer partant de Lima, qui sera pendant longtemps la plus haute du monde. Les anglais, maîtres d’œuvre de ces grands travaux, y apporteront aussi une seconde religion, sans laquelle aucun péruvien ne saurait vivre : le football.

Les années trente vont paralyser cet élan. Les luttes politiques se déchaînent à nouveau, opposant la gauche péruvienne encadrée par l’APRA de Haya de la Torre à l’armée, soutenue par les secteurs oligarchiques. Les sanglants évènements de 1932 à Trujillo, dans le Nord du pays, auront leurs répercussions à Lima. C’est la valse des généraux, qui ne connaîtra de répit qu’avec les présidences civiles de Manuel Prado (1939-1945) et de José Luis Bustamante (1945-1948).

Bidonvilles et quartiers chics (1950-1990)
L’après-guerre voit l’essor de l’industrie légère, qui va engendrer les premiers flux migratoires des populations déshéritées de la sierra vers la capitale : le fruit de ce développement limité voit l’apparition des faubourgs marginaux qui naissent à cette époque pour s’installer durablement dans le paysage urbain de la périphérie de Lima. Ce sont les barriadas (bidonvilles) que l'on qualifiera plus tard par un doux oeuphémisme de pueblos jovenes (villes nouvelles). La décennie 1955-1965 ramène une prospérité relative qui ne profitera qu’aux couches aisées  et à une étroite classe moyenne qui fuit le vieux centre historique de Lima vers des faubourgs modernes et plus chics (Miraflores, San Isidro). Cette déchéance de la vieille ville, la tristesse de ses maisons branlantes et de ses taudis, sont dépeintes par l'écrivain Salazar Bondy dans un essai resté fameux : Lima la Horrible (1964). Dans les sombres années 1970-1990, des centaines de vieilles demeures sont livrées à la pioche des démolisseurs, le plus souvent pour devenir d'affreux cubes de béton ou pour être transformées en parkings privés, tandis que les rues de Lima sont envahies par des myriades marchands ambulants venus des quartiers pauvres : c'est le début d'une économie de subsistance, dite "informelle" qui n'en sauvera pas moins des milliers de foyers de la misère et de la faim.


L'ambiance décrite par Salazar Bondy et les barrios altos de la sortie nord de Lima (photos D. Duguay)

Débuts d’un sauvetage
Heureusement, à partir de 1991, suite au classement par l’UNESCO du centre historique de Lima sur la liste du patrimoine culturel de l’humanité, une vaste campagne est mise en oeuvre pour sauver le centre de Lima. Elle a pour principal organisateur le maire de l'époque, le décrié mais courageux Alberto Andrade. En quelques années, les résultats ont été spectaculaires : erradication du commerce ambulant, création de rues piétonnes, restauration des façades et des balcons, rénovation du mobilier urbain, réhabilitation des rives du Rio Rimac, etc. Ces diverses actions ont contribué quelque peu à redorer le blason de la "Cité des Rois" : il était grand temps.

On déboulonne la statue de Pizarro (2003)
Sur le côté gauche du palais présidentiel, se dressait depuis 1950 une grande statue équestre du conquistador Francisco Pizarro, réplique exacte de celle qui se trouve dans sa ville natale de Trujillo, en Espagne. Le 27 avril 2003, au beau milieu de la nuit, elle fut déboulonnée de son socle sur l'ordre du maire de Lima pour être reléguée dans un petit square derrière l’église San Francisco, quelques rues plus loin. Ce retrait – qui fit couler beaucoup d’encre dans les journaux - avait une forte valeur de symbole, mais décalé dans le temps, comme si le Pérou tournait enfin le dos à son passé colonial, raciste et violent. Déjà, pendant le régime militaire du général Velasco en 1970, l'historien Juan José Vega avait proposé qu'elle soit fondue et qu'on en utilise le bronze pour réaliser, à sa place, une statue de Tupac Amaru, héros indien de la résistance anti-coloniale. Le général Velasco n'avait pas donné suite, mais avait fait remplacer le portrait de Pizarro qui ornait le grand salon du palais présidentielle par un tableau représentant Tupac Amaru... Après le déboulonnage de 2003, l’espace laissé libre par la statue restait à combler : on la remplaça par une hideuse fontaine, tellement décriée qu’il fallut la remanier plusieurs fois. La «statue du commandeur» n’en était pas à sa première tribulation et avait déjà changé de place, puisque lors de son inauguration en 1935, on la trouvait… sur les marches de la cathédrale!
Sur ce déboulonnage symbolique, l’historien José Antonio del Busto fit le commentaire suivant : « On peut enlever Pizarro de la place, on ne l’enlèvera pas de l’histoire (…) Nous (les Péruviens) ne sommes ni des vainqueurs ni des vaincus, nous sommes les descendants des vainqueurs et des vaincus. »

Voir les pages : Architecture et urbanisme à Lima au 20e siècle


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