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La procession du |
La procession du Señor de los Milagros (le Seigneur des Miracles) est, avec la célébration de la Semaine Sainte à Ayacucho, la plus grande démonstration de ferveur catholique au Pérou. Elle débute traditionnellement chaque 18 octobre et se poursuit pendant neuf jours, au rythme des porteurs de la châsse ou est perchée une image du Christ sertie dans un somptueux cadre en argent. Partant de l'église de Las Nazareñas, elle visite les églises de Lima avant de réintégrer son emplacement d'origine, au milieu d'une marée humaine de spectateurs et de pénitents qui pour l'occasion, revêtent la tunique pourpre, couleur de la Conférie du Seigneur des Miracles. Cette procession est certainement le plus grand évènement annuel de la capitale du Pérou et sons sens profond déborde largement du domaine de la simple dévotion religieuse pour atteindre une dimension sociale et identitaire : le Seigneur des Miracles est le Christ du petit peuple et des pauvres. S'ajoute à cela une dose non négligeable de superstion : la procession est aussi aussi prétexte à conjurer une hantise avec laquelle naît et meurt, depuis des générations et des générations, chaque habitant de Lima : celle du terremoto, le tremblement de terre.
Son origine
Au milieu du 17e s., le quartier de Pachacamilla, correspondant au secteur où se trouve aujourd'hui l'église de Las Nazareñas, était une sorte de réduction où vivaient de façon misérable des Indiens et des esclaves noirs affranchis. L'un d'entre eux, un Noir dont on ne sait s'il était originaire d'Angola ou du Congo, peignit sur le mur d'un petite chapelle une image du Christ crucifié, qui devint rapidement un objet de vénération de la part des anciens esclaves noirs du quartier. Ils venaient y chanter des cantiques et rendre hommage à l'image sainte par des danses africaines un peu trop endiablées au goût des autorités religieuses de Lima. Ces dernières demandèrent au vice-roi de mettre un terme à ce scandale et celui-ci ordonna que l'image soit effacée. On la recouvrit tout d'abord d'une épaisse couche de badigeon, mais c'est alors que les miracles commencèrent : en quelques jours, l'image réaparut peu à peu, ses couleurs encore plus vives. On voulut alors percer le mur où elle était représentée, mais en vain. Les maçons tombaient de l'échelle ou bien une force mystérieuse leur paralysait les bras au moment où ils levaient la pioche dessus! A chaque tentative infructueuse, la foule des Noirs tombait à genoux et leurs cantiques résonnaient de plus belle. Et l'archevêque de Lima ne savait plus quoi faire.
Alors que la cité des vice-rois rayonnait de tout son lustre et atteignait le faîte de sa puissance, le 20 octobre 1687 au petit matin, un terrible tremblement de terre jeta à bas les cinq mille demeures des 163 manzanas qui composaient alors le damier hérité de Pizarro. Les 65 églises de Lima étaient à demi détruites, mais stupeur! Dans les ruines du quartier de Pachacamilla et de sa petite chapelle, seul demeurait debout le pan de mur où était représenté le Christ en croix peint par le Noir de l'Angola. La légende du Seigneur des Miracles était née.
Ses traditions
Convaincus du miracle, les édiles de Lima firent du Señor de los Milagros le saint patron de la cité. On lui construisit une petite église et la peinture fut copiée sur un tableau au cadre rutilant d'or et d'argent, afin d'être portée en procession à chaque date anniversaire du séisme. Au milieu du 18e s., l'église devenue trop petite fut reconstruite un peu plus loin : c'est l'actuelle église de Las Nazareñas, dans laquelle on voit l'un des modèles les plus fins et les plus complets à Lima d'architecture de style rococo, mâtiné de quelques touches de néo-classique.
La Confrérie du Señor de los Milagros, fondée par des Noirs affranchis juste après l'évènement, devint chaque année plus nombreuse et déborda de son cadre ethnique d'origine, pour gagner peu à peu un grand nombre de mulâtres et de créoles. Elle conserva la tunique violette, qui est la couleur de la Passion, mais aussi celon certains historiens, celle du costume que les Noirs étaient obligés de porter à l'époque de la colonie. Aussi appelle-t-on à Lima le mois d'octobre "el mes morado" (le mois violet) pour la couleur qui domine alors dans la foule des cortèges.
Au fil des siècles, la procession gagna en importance et en durée. Aujourd'hui, elle se déroule d'abord sur deux jours pleins, les 18 et 19 octobre, pendant laquelle elle fait le tour des églises de Lima, jusqu'à la cathédrale. Les porteurs se relaient sans cesse et certains fidèles la suivent du début à la fin de ce premier parcours, qui dure plus de quarante heures! La foule remplit alors complètement la Plaza de Armas. Commence alors une neuvaine de prières et le 28 octobre, la procession reprend le chemin de l'église de Las Nazareñas.
Les deux semaines de célébration du Señor de los Milagros ont aussi donné naissance à de petites traditions annexes, intimement liées à la fête : le commerce d'objets pieux, comme les scapulaires, les reproductions miniatures du tableau et ces grands cierges haut de 60 cm, sculptés et peints à la main que les fidèles allument à la tombée de la nuit pendant la procession ou lors des veillées de prière dans chaque église. S'y ajoute une autre, plus gourmande : le turrón de Doña Pepa, variante liménienne du classique turrón espagnol, devenu ici un délicieux gâteau au miel recouvert de petites sucreries multicolores. Selon la légende, il aurait été inventé à la fin du 18e s. par une esclave noire affranchie, Josefa Marmanillo, passée à la postérité sous le surnom de Doña Pepa. Chassée de son hacienda et réduite au dénûment parce qu'elle était infirme, elle aurait confectionnée son gâteau pour le vendre pendant la procession afin de gagner quelques sols. Et là, autre miracle : au passage de la châsse du Señor de los Milagros, elle se fit aider pour déposer dessus une part de son turrón en guise d'offrande, et santo subito retrouva l'usage de ses membres! |
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C'est pourquoi la procession du Señor de los Milagros est aussi une aubaine pour les myriades de marchands ambulants qui se pressent tout au long du parcours, offrant colifichets, bondieuseries, gâteaux, bombons, fruits, rafraîchissements, et qui selon un dicton populaire de Lima "font leur août en octobre".
©Daniel DUGUAY
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