Guide du Pérou

Les peintres péruviens (19e-20e s.)


José Gil de Castro : portrait du Libertador José de San Martin - Portrait du patriote José Olaya

Après la longue période de domination espagnole, la jeune république péruvienne trouve son premier artiste « national » en la personne du mulâtre José Gil de Castro (1745-1845) né au Pérou mais qui passa pourtant la fin de sa vie au Chili, après avoir combattu dans l’armée du Libertador Bernardo O’Higgins entre 1811 et 1814. Gil de Castro est essentiellement un portraitiste et ses personnages aux allures austères et au port hiératique, souvent représentés debout avec une grande richesse de détail dans le costume, sont encore largement influencés par la peinture coloniale du 18e s. Il réalisa bon nombre de portraits de chefs militaires, comme Simon Bolivar, Bernardo O’Higgins ou José de San Martin, d’hommes politiques et de personnages de l’aristocratie chilienne de l’époque, mais son œuvre la plus touchante est certainement le portrait de José Olaya, un patriote péruvien qui perdit la vie lors de la lutte pour l’indépendance et qui comme lui, était un métis issu du petit peuple.

Entre académisme et tradition (19e s.)
Au 19e s., après l’indépendance du Pérou, le genre anecdotique, plus précisément appelé costumbrista, aura un maître en la personne du créole Pancho Fierro (1810-1879), fameux pour ses aquarelles représentant les scènes de la rue et des petits métiers des quartiers populaires de Lima. Son humour, son imagination et parfois sa hardiesse – assez proches de celles d’un Daumier - font passer le message en dépit d’une technique que les spécialistes trouvent limitée, mais qui fait sans doute la force de ses caricatures.


Pancho Fierro : danseurs de zamacueca et "tapadas" liméniennes.

Dans la même veine, mais plus académique, se détache le nom d’Ignacio Merino (1817-1876), issu d’une riche famille de Piura. Jeune, il partit pour Paris où il fut l’ élève de Delacroix. De retour au Pérou, il trouva l’inspiration dans les légendes populaires et les thèmes nationaux avant de retourner en Europe où il réalisa ensuite de grandes toiles romantiques. Moins connu, Francisco Laso (1823-1869) passe pour l’un des principaux précurseurs de l’indigénisme : il puisa son inspiration dans les légendes populaires, les gens du peuple et les paysages de la sierra : ses compositions ont un côté très expressif et sont d’une grande richesse documentaire.

A la charnière du 20e s., Daniel Hernández (1856-1932) marque l'histoire de la peinture péruvienne : d'abord peintre académique, il part en Europe, d'abord à Rome puis à Paris où il réside jusqu'en 1917. Il retourne ensuite au Pérou où il ramène l'impressionisme : ses dernières oeuvres en sont très fortement marquées. Il occupera jusqu'à sa mort le poste de directeur de l'École Supérieure des Beaux Arts de Lima, fondée en 1918 par le président Leguia. Cette école deviendra dans les décennies suivantes le creuset du mouvement indigéniste.

Un maître du portrait : Carlos Baca Flor
Reconnu aujourd’hui comme l’un des grands portraitistes du 20e s., Carlos Baca Flor naquit en 1867 à Islay, près d’Arequipa. Orphelin de père, sa mère l’emmena à Santiago du Chili où il entra à l’académie des beaux-arts. Le Chili lui ayant proposé une bourse pour se rendre à Rome sous condition qu’il se naturalise, il refusa et retourna au Pérou où le président Cáceres l’accueillit comme un héros et lui octroya ce qu’il avait refusé par amour pour sa patrie. De Rome, suivant sa bonne étoile, il se rendit à Paris où débuta sa célébrité : il y réalisa le portrait du modiste Worth avant que le millionnaire américain John P. Morgan ne l’appelle à New York (1908) où il s’établit durablement, hormis pour quelques séjours à Paris. Il réalisa jusqu’à sa mort (1941) bon nombre de portraits des personnages importants, richissimes ou célèbres de l’époque parmi lesquels ceux du pape Pie XII ou du président irlandais Eamon de Valera. On ne trouve guère chez Baca Flor l’écho des tendances novatrices qui révolutionnèrent la peinture entre les deux guerres ; son art est uniquement réaliste et parvient à restituer de façon saisissante le caractère de ses modèles  Une bonne partie de son oeuvre se trouve dans des musées aux Etats-Unis, mais l’on peut en voir quelques bons exemples au Museo de Arte à Lima.

Le courant indigéniste
L’oeuvre de Mario Urteaga (1875-1957), natif de Cajamarca, ne fut réellement découverte que dans les années 30, à la faveur du mouvement indigéniste, lancé en littérature entre autres par José Luis Valcarcel et en peinture par José Sabogal. Autodidacte de génie mais isolé dans sa province, il ne pensait guère faire école en représentant la dureté de la vie indienne d’alors dans des tableaux d’un réalisme à la fois tranquille et implacable : ses compositions de travaux des champs, d’enterrements, de rixes et de beuveries ont souvent un accent tragique, même s’il les tempère de paysages aux couleurs chaudes, qui peuvent parfois s’avérer assez bucoliques. Il sait de façon magistrale mettre en évidence le parallèle entre la présence oppressante de la géographie andine et l’autre oppression, économique et politique, qui pèse de tout son poids sur les Indiens. « Mario Urteaga a réussi à montrer au monde les Indiens plus Indiens qu’on ne peindra jamais » suivant l’expression de l’historien de l’art Teodoro Núñez Ureta.


Mario Urteaga : La riña (la rixe) - José Sabogal : Mujeres de Ucayali

L’héritage de Mario Urteaga fut récupéré et théorise par José Sabogal (1888-1956), d’ailleurs originaire de la même province et aujourd’hui considéré comme l’un des grands noms, sinon le plus grand, de la peinture péruvienne. Encore jeune, il voyagea en Europe puis en Argentine où il fit la rencontre du peintre Jorge Bermúdez, défenseur passionné du milieu rural, qui l’influença notablement la suite. On le trouve ensuite à Cuzco en 1918, où il réalise de nombreux tableaux inspirés de scènes de la vie indienne sur fond de paysages de la sierra. Sa palette aux couleurs vives, son dessin un peu empâté seront pour toujours sa marque de fabrique. Sa première exposition à Lima (1919) fait l’effet d’une grande révélation qui lui apporte immédiatement succès et reconnaissance : Il enchaîne les expositions à Mexico, Montevideo et Buenos Aires. En 1920, il devient professeur à l’école des Beaux Arts de Lima dont il sera le directeur de 1932 à 1943. Politiquement lié à l’APRA, il reçoit l’appui d’hommes politiques éminents comme Luis Alberto Sanchez ou encore du grand romancier Ciro Alegria qui font reconnaître en lui le grand maître de l’authenticité péruvienne. Il meurt couvert d’honneurs, non sans avoir formé toute une génération d’excellents artistes qui reprendront son flambeau : Camilo Blas, Julia Codesido, Enrique Camino Brent pour ne citer qu’eux.

L’autre grand nom du courant indigéniste est celui de Jorge Vineata Reynoso (1900-1931) dont la carrière fut au début quasiment parallèle à celle de José Sabogal, jusqu’à sa mort prématurée due à la tuberculose. Merveilleux dessinateur, Il commença d’abord comme caricaturiste politique et mondain avant de venir à la peinture réaliste dans les toutes dernières années de sa vie, suite à un voyage dans la sierra du sud du Pérou et l’altiplano : là il puisa la matière de ses oeuvres les plus connues : Orillas de Titicaca, Chacareros Arequipeños, Feria de Pucará, Sachaca et La balsa que vuelve.

Macedonio de la Torre (1893-1981)
Tout à fait en marge du mouvement indigéniste, ce peintre originaire du nord du Pérou, qui fut élève de Bourdelle à Paris et se lia ensuite d’amitié avec César Vallejo et Haya de la Torre, est considéré comme un des grands maîtres péruviens de la couleur. Il fut probablement influencé, pendant sa période parisienne par l'oeuvre de Maurice Utrillo, qu'il admirait. A son retour, il parcourut tout le Pérou et laissant libre cours à sa perception onirique de la nature, réalisa des tableaux de jardins pléthoriques aux couleurs éclatantes, remplis de fraîcheur et de poésie. Ses oeuvres furent exposées à Paris et à New-York (1959) et firent l’objet d’une grande rétrospective au Museo de Arte à Lima, en 1968.


Macedonio de La Torre

Sérvulo Guttierez (1914-1961)
Comptant parmi les grandes figures de la peinture péruvienne au 20e s., cet autodidacte natif d’Ica, voulut être boxeur dans sa jeunesse. Il n’y parvint pas et alla s’installer à Buenos Aires où il commença d’abord par être sculpteur. Ses premières oeuvres sont d’ailleurs très influencées par les poteries précolombiennes de sa région natale, qu’il revisita à sa manière. A Buenos Aires, il suivit pendant huit ans les cours du grand peintre argentin Emilio Pettoruti avant de partir pour Paris en 1938. C’est là, probablement, qu’il se détacha de l’académisme plastique pour se tourner vers l’expressionnisme, avant de rentrer au Pérou en 1842. Son tableau le plus connu et le plus commenté, Les Andes (1943) représente une femme nue géante sur fond de montagnes, se cachant le visage derrière les bras. Ce sujet, où perce évidemment l’influence de l’indigénisme alors en plein essor, est interprété comme une allégorie des réalités cachées et des souffrances de l’Amérique latine. Vers la fin de sa vie, il se tourna vers un fauvisme exacerbé avec le portrait de sa muse et maîtresse : la richissime Doris Gibson (fondatrice de la revue Caretas) ou dans des sujets plus mystiques, comme un fameux tableau représentant Sainte Rose de Lima.

Victor Humareda (1920-1986)
Le type même du peintre solitaire, écorché vif, amoureux des bas-fonds, éternellement bohème, désargenté et un peu fou. Tous les clichés de l'artiste maudit paraissent se réaliser et prendre corps dans la figure de celui qui fut, pour beaucoup, le plus grand peintre péruvien du 20e s. Originaire de Lampa, sur l'altiplano, il partit jeune pour Lima et entra en 1939 à l'Ecole nationale des Beaux Arts. Comme il est sans un sou, il parvient à payer ses études en dessinant quelques portraits des clients des restaurants de la calle Capon, dans le quartier chinois de Lima. Il arrête l'école par nécessité, puis la reprend en 1942 où on le retrouve dans l'atelier animé par José Sabogal. En 1950, il voyage en Argentine où il passera deux années à l'école des Beaux Arts de Buenos Aires.


Portrait de Victor Humareda vers 1955 - Tango (1960) - El Quirofano (1984)

En 1954, il s'installe dans cette fameuse chambre 283 de l'hôtel Lima, dans le quartier populaire de La Victoria, qui deviendra son repaire et son atelier jusqu'à sa mort. Ce décor assez misérable sera sa plus grande source d'inspiration, il y trouve sa matière, celle des côtés obscurs de la grande ville : mendiants, chiffoniers, prostituées, ivrognes, tavernes de nuit, bars glauques et taudis... à côté de sujets plus conventionnels : arlequins tristes, toréadors, danseurs de tango et même un étonnant Don Quijote... Tout en étant un grand coloriste, il lui arrive de virer parfois vers des compositions obscures et cauchemardesques (Los Frailes, El Quirofano), qui le font comparer tantôt à Toulouse-Lautrec et tantôt à Goya. Pour d'autres, son art évoque aussi celui de James Ensor et de Soutine. En 1966, il s'embarque pour l'Europe quasiment sans argent, avec en poche une petite boîte en fer remplie de terre du Pérou pour, disait-il, rester en contact avec sa terre natale. Ce voyage fut un échec et il rentra l'année suivante en livrant cette amère réflexion : "Ceux qui vivent à Paris partent un jour pour Lima, en revanche, nous autres à Lima, vivons à Paris". Atteint d'un cancer du pharynx, il perdit la voix et continua à noter au jour le jour ses innombrables projets, commentaires, pensées et poèmes - curieusement rédigés sans aucune ponctuation - dans toute une série de petits carnets qui furent hélas détruits après sa mort. Dans l'un des rares carnets qui furent sauvés par son ami le galleriste Luis Felipe Tello, on peut lire ceci :
"J'ai reçu une photo de ma maman je suis en train de peindre un joli tableau de mer tempêtueuse comme mon âme passions violentes symphonies de Beethoven Clair de Lune Elena mon esprit est grand".

L'abstaction : Fernando de Szyzlo
Ayant lui aussi fréquenté les milieux artistiques parisiens, Fernando de Szyszlo (né en 1925 à Lima) est l’une des figures marquantes de l’art abstrait sud-américain. Ses toiles et ses sculptures monumentales, d’un style lyrique, cherchent à associer l’héritage des mythes précolombiens et l’expression artistique moderne. En 1948, il part s’installer en Europe pour étudier les grands maîtres et participe du même coup au bouillonnement créatif de l’immédiat après-guerre. Il retournera au Pérou en 1957. Caractérisé par une maîtrise très subtile de l’ombre et de la lumière, le style pictural de Szyszlo a fortement influencé la nouvelle génération des peintres péruviens et ses oeuvres figurent dans la collection de l’Art Museum of the Americas, à Washington. La Maison de l’Amérique Latine à Paris réalisa une rétrospective de ses oeuvres en 2003.

Fernando de Szyslo est une figure clé de l’abstraction des années cinquante en Amérique latine. Né à Lima en 1925, il a étudié à l’Ecole des Arts Plastiques de l’Université Catholique de la capitale péruvienne. A l’âge de 24 ans, il voyage en Europe où il étudie les oeuvres des grands maîtres tels que Rembrandt, Le Titien et Tintoretto. A Paris, il s’imprègne des leçons du cubisme, du surréalisme, de l’informel et de l’abstraction de son époque. Il se lie d’amitié avec Octavio Paz et André Breton, et fréquente un groupe d’écrivains et d’intellectuels français et étrangers qui se retrouve régulièrement au Café Flore. Au cours de ces réunions, d’intenses échanges s’engagent autour d’un thème récurrent : comment participer au mouvement moderniste international tout en préservant son identité culturelle latino-américaine. A son retour au Pérou vers le milieu des années cinquante, Szyszlo contribue de façon majeure au renouveau artistique de son pays, faisant oeuvre de pionnier dans le traitement de thèmes péruviens dans un style non-figuratif. Le lyrisme de la couleur, enrichie par des effets de textures élaborés, et un maniement magistral de l’ombre et de la lumière sont les marques de reconnaissance de sa technique picturale. Passé maître dans l’art de faire fusionner, de façon quasi alchimique, les évocations des cultures ancestrales du Pérou avec un langage artistique moderne, la peinture de Szyszlo reflète une vaste culture qui puise aux sources de la philosophie, de la science et de la littérature. Ses allusions aux rites et aux mythes, à la géographie de la mer et aux paysages désertiques sont souvent associées aux sites sacrés de l’ère précolombienne. Depuis sa première exposition personnelle à Lima en 1947, Szyszlo a réalisé plus d’une centaine d’expositions personnelles dans de nombreux musées et galeries d’Amérique latine, d’Europe et des Etats-Unis, et il a participé aux prestigieuses biennales de Venise et de São Paulo.
Fils d’un scientifique polonais et d’une péruvienne du littoral, Szyszlo est également tiraillé entre ses différentes sources artistiques : l’art précolombien, les avant-gardes européennes, certains peintres d’Amérique du Nord et d’Amérique latine. Mais le décor où il a passé la plus grande partie de sa vie – le ciel gris de Lima, sa ville, les déserts de la côte riches d’histoire et de mort et cette mer qui apparaît avec tant de force dans sa peinture des dernières années – a peut-être exercé une influence aussi déterminante dans la configuration de son univers que le vieux legs d’anonymes artisans précolombiens dont les masques, les manteaux de plumes, les statuettes en terre cuite, les symboles et les couleurs apparaissent souvent sous une forme épurée dans ses toiles. Ou encore les audaces raffinées, les refus et les expérimentations de l’art occidental moderne, sans lesquels la peinture de Szyszlo ne serait pas non plus ce qu’elle est.

Texte de Mario Vargas Llosa, extrait de Szyszlo dans le Labyrinthe, in Fernando de Szyszlo (éditions Somogy, 2003)


Fernado de Szyszlo et l'une de ses sculptures : Lima Intiwanata, à Miraflores.

Victor Delfin
Né à Piura en 1927, il est reconnu comme un excellent peintre et encore plus pour être un extraordinaire sculpteur. Certaines de ses oeuvres ornent les parcs de Lima, comme le fameux Beso (Le Baiser) du Parque del Amor à Miraflores. Génial touche-à-tout, il a réalisé également de très nombreuses tapisseries où il puise son inspiration aux sources de la culture péruvienne, notamment dans l'art de Paracas, avec des motifs d'oiseaux dans une grande richesse de couleurs. Sa première grande exposition en 1966 était constituée d'une série de retables réalisés avec des matériaux de récupération, renouvellant un genre artisanal déjà ancien. Entre 1995 et 2000, il mena la fronde des intellectuels et des artistes contre le régime autoritaire de Fujimori et sa peinture prit une tournure résolument politique et plus sombre, évoquant les atteintes aux droits de l'homme perpétrées au Pérou pendant cette période. Dominant la falaise, sa célèbre maison de Barranco, sorte de petit musée rempli de plusieurs de ses oeuvres est devenue un bed & breakfast qui compte parmi les plus insolites de la capitale péruvienne.


Victor Delfin : Tryptique

sur la peinture de l'époque coloniale, voir : L'école de Cuzco


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