Guide du Pérou

Les trains du Pérou


La ligne Cuzco-Machu Picchu (1990) - Le train Arequipa-Juliaca grimpe vers l'Altiplano (1980).

Hier...
Les chemins de fer naquirent au Pérou le 17 mai 1851, jour de l'ouverture de la ligne de 14 kilomètres qui allait du port de Callao à la capitale du pays, Lima. Cette ligne était un peu l'œuvre de Richard Trevithick, le constructeur de la première locomotive à vapeur. Celui-ci avait en effet, quelques années plus tôt, passé un certain temps au Pérou, puisqu'il avait été chargé de l'installation des pompes à vapeur qui devaient assécher les mines d'argent situées à haute altitude, dans une région des Andes appelée Cerro de Pasco. Une autre ligne - aujourd'hui totalement disparue - fut construite en 1870 entre Lima, Ancón et Chancay : elle ne demeura en service que peu de temps, car lors de la guerre du pacifique, en 1879, les Chiliens la démantelèrent pour l'emmener vers leur pays. Le tracé de cette ligne est aujourd'hui utilisé par la route Panaméricaine nord dans le vertigineux secteur du"serpentin de Pasamayo", entre Ancon et Chancay.

La seconde ligne traverse les contreforts des Andes et relie Arequipa, la seconde ville du Pérou (2 287 m d'altitude), à Mollendo, situé sur la côte de l'Océan Pacifique et qui était à l'époque le port d'Arequipa, avant la construction de Matarani. Un américin de San Francisco, Henry Meiggs (qui était passé à cet endroit une quinzaine d'années auparavant), construisit ici une ligne de 112 kilomètres entre 1868 et 1870. Il devait toucher une prime de 4 000 livres par mois s'il achevait la construction en trois ans et devait supporter une pénalité du même montant pour chaque mois qui dépasserait ce délai, aussi termina-t-il l'ouvrage en temps voulu. Le gouvernement péruvien avait déjà décidé que la ligne passerait dans la montagne. Elle atteignit Puno, sur le lac Titicaca (3 812 m d'altitude) en 1874, et enfin Cuzco en 1907. Cette ligne fut appelée par la suite, le "Southern Railway" ou Ferrocarril del Sur. Grâce aux bateaux à vapeur qui traversaient le lac Titicaca (dont on peut encore voir un exemple : le Yaravi, dans le port de Puno), la ligne était reliée au réseau ferroviaire bolivien. C'est un des plus somptueux trajets ferroviaires que l'on peut faire au monde.

L'exploit du Ferrocarril Central
Meiggs commença à la même époque, mais beaucoup plus au nord, la construction de ce qui devait être la plus grande réalisation de la technique ferroviaire, l"Oroya Railroad", devenu par la suite, la "Central Line" ou Ferrocarril del Centro entre Lima et la Oroya, où elle se divise en deux branches, l'une vers les mines de Cerro de Pasco, et l'autre vers Huancayo et Huancavelica. Cette ligne (à écartement normal, comme la précédente) fut justement baptisée "la plus élevée du monde" : elle atteint 4786 m d'alt. dans le tunnel de Galera, proche du col routier de Ticlio sur le tronçon Lima-La Oroya, et culmine à 4835 m à l'embranchement minier de Tíclio à Morococha. Elle est certainement aussi, hélas, celle dont le coût humain fut le plus élevé.
Le président Balta lui demandant si le projet était faisable, Meiggs aurait répondu : "je poserai des rails jusqu'où un lama peut grimper". Il s'adjoignit les services de l'ingénieur polonais Ernest Malinovski (1808-1899), que l'on peut considérer comme le véritable auteur de la ligne, puisqu'il en dessina les plans et dirigea les travaux à partir de janvier 1870. On embaucha 10 000 ouvriers, parmi lesquels 5000 coolies chinois venus de Macao.La révolution, la guerre entre Pérou et Chili, la mort de Meiggs en 1877, et divers problèmes financiers entraînèrent l'arrêt de la construction. La ligne n'atteignit Oroya qu'en 1893.

Le Pérou avait mis en gage, pour la construction de ce chemin de fer toutes ses ressources de guano, qui malheureusement, étaient limitées. Le pays ne pouvait plus compter que sur les investissements étrangers. La fin de la construction de la ligne du "Central" fut confiée à des investisseurs anglais qui acquérirent également le "Southern" et créèrent la "Peruvian Corporation". Les mines de Cerro de Pasco ainsi qu'une ramification de 120 kilomètres de la ligne d'Oroya, dont le point le plus bas se trouve à 2 660 mètres d'altitude, furent donnés en concession à des compagnies américaines. Enfin, le 22 septembre 1908, fut inauguré le premier service de voyageurs Lima-La Oroya-Huancayo partant de la nouvelle gare de Desamparados à Lima, achevée en 1912.
Sur les 335 Km de la ligne dont l'inclinaison globale est de 4,5°, on trouve 68 tunnels, 61 ponts et 9 zig-zags … Par comparaison avec l'inclinaison des rampes andines, celle des 40 premiers kilomètres de la ligne, entre Lima et Chosica, dans les contreforts de la montagne, n'est que de 27 millimètre par mètre, mais le train doit gravir, au cours des 120 kilomètres suivants, les 3926 mètres qui le séparent du sommet et passer dans le tunnel de Galera (1,2 km de long), à 4 786 mètres d'altitude. La montée comprend onze courbes en épingle à cheveux et la descente sur Oroya en compte deux. Les 45 millimètres de déclivité par mètre sur presque toute sa longueur et ses courbes accentuées (jusqu'à 100 mètres de rayon) font de cette section un véritable cauchemar pour les cheminots péruviens. Ils sont en effet, à la merci de l'instant d'inattention qui précipitera le train au fond d'un ravin. On peut d'ailleurs voir aujourd'hui dans certains endroits, des débris de trains accidentés.

Le col de Pampa Galera (4786 m)

Les ponts du "Central" méritent une mention particulière, non pour leur longueur ou leur portée, mais à cause des endroits étonnants où ils ont été construits. Le Carrion Bridge de 174 mètres de portée et de 76 mètres de haut, surplombe les gorges de Verrugas. Le Puente Infiernillo, avec ses poutrelles métalliques rouges, inspira Hergé dans le "Temple du Soleil" où Tintin et le capitaine Haddock sont victimes d'un sabotage du train. Le grand Puente Chaupichaca est le plus élevé. Il s'effondra en 1909, lorsqu'un train qui passait dessus, dérailla et alla heurter une rame en cours de manoeuvre.


Fronton de la gare de Desamparados à Lima - Illustration (1910) représentant le Carrion Bridge, l'un des viaducs du Ferrocarril Central

En 1925, on poursuivit la ligne de Huancayo à Huancavelica sur 150 km, le long des gorges du rio Mantaro : on surnomme ce tronçon le "tren macho". Spectaculaire et très pittoresque, il est heureusement toujours en service. Beaucoup plus tardive, la construction de la ligne Ilo-Moquegua-Toquepala dans l'extrême sud du Pérou fut menée à bien en 1958-1959 par la Southern Peru Copper Company pour amener le minerai des mines de Toquepala jusqu'au port d'Ilo. Culminant à 3600 m, elle fut abandonnée en 1976.

Et aujourd'hui...
En 1999, le gouvernement d'Ernesto Fujimori reprivatisa les chemins de fer (alors totalement déficitaires) jusqu'alors gérés par la compagnie d'état ENAFER Peru : les lignes les plus touristiques furent cédées à une nouvelle société, Perurail, qui - peu soucieuse de la notion de service public - supprima les trains jusqu'alors réservés aux indiens pour les réserver uniquement à l'usage touristique, notamment à partir de Cuzco vers Machu-Picchu et Puno. C'est ainsi que les vieux wagons jaune et rouge qui avaient silloné pendant plus d'un siècle les cordillières du Pérou, furent repeints en jaune et bleu pour singer le look de l'Orient-Express. Nombre de petites gares ont été fermées, rentabilité oblige, et leur accès interdit à la population locale : des hordes d'indiennes attendaient le passage du train pour proposer aux voyageurs des ponchos, des bonnets, des épis de maïs grillé ou des cuisses de poulet, transformant chaque halte en joyeux marché indigène. C'était la carte postale typique du trajet vers Machu Picchu. Elle est désormais à ranger au rayon des souvenirs...

De même, la merveilleuse ligne Cuzco-Juliaca-Puno est désormais réservée aux richissimes: il faut compter plus de 200 dollars rien que pour l'aller simple! Dans la foulée, on a supprimé la liason Juliaca-Arequipa, jugée pas assez rentable. Elle traversait pourtant les paysages somptuex de la chaîne volcanique qui sépare l'altiplano de la côte Pacifique. Toujours dans les années 1990, le Ferrocarril Central fut sur le point de disparaître : il ne fonctionna plus qu'au ralenti pour assurer le transport des marchandises. Seule bonne nouvelle dans ce tableau assez sombre, il a récemment repris du service sous le nom de Ferrocarril Central Andino et assure à nouveau la liaison aller-retour vers Huancayo, mais seulement tous les quinze jours.

Dernier outrage en date : en 2009, toujours par souci de rentabilité, mais aussi pour "coller" au grandiose projet du nouvel aéroport de Cuzco, prévu dans la plaine d'Anta, la société Perurail décida de raccourcir le trajet en faisant désormais partir les trains pour Machu Picchu de la localité de Poroy, située sur le plateau, 14 km au dessus de Cuzco. Exit le tronçon le plus pittoresque de la ligne : la longue ascension en zig-zag qui partait de la vieille gare de San Pedro, face au marché de Cuzco, et qui permettait, à l'aller de monter progressivement au-dessus des toits rouges de la ville émergeant des brumes du petit matin et le soir à l'arrivée, d'apercevoir Cuzco illuminée avec ses églises et ses couvents vus d'en haut. C'était la partie la plus "technique" du trajet : au bout de chaque ligne doite, un cheminot sautait du train pour relever le levier d'aiguillage (à l'ancienne) et ainsi de suite. La voie se frayait un passage entre les maisons pauvres des quartiers hauts de la ville, tandis que vieillards, femmes et enfants, regardaient passer le train assis devant leur maison, sur le pas de la porte. Evidemment, ça faisait un peu trop miséreux et pas assez moderne pour les actionnaires et les technocrates de Perurail. Ils ont gommé tout ça d'un seul trait, pour rogner sur les coûts d'exploitation, le temps de trajet et le personnel. La mondialisation est aussi en marche au pays des Incas..


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