Guide du Pérou

L'école de Cuzco


Santiago Matamoros (Saint Jacques le Matamore) et un ange arquebusier :
deux sujets typiques de l'école de Cuzco

La peinture religieuse au Pérou (16e-18es.)
Au temps de la colonie espagnole, la production picturale, soigneusement encadrée par l’Eglise, fut d’abord conçue comme une arme doctrinale, sorte de catéchisme par l’image non pas seulement réservé aux Indiens (les lieux de culte qui leurs étaient réservés étant au début sommaires et fort dépouillés) mais aussi aux colons et aux métis : l’apologie des vertus chrétiennes était une norme morale autant que sociale qu’il n’était guère question de transgresser, encore moins de mettre en doute. Assez rapidement, cette production atteignit des volumes très importants à mesure qu’elle se diffusait dans tout le Pérou et vers les régions voisines soumises par les Espagnols. La demande provenait des nuées d’églises et de chapelles qui fleurirent à partir de la fin du 16e s., des couvents de moines et de religieuses, des palais que se faisaient construire les encomenderos enrichis par l’exploitation des ressources du pays, comme des populations métisses des villes et des campagnes. On a gardé trace d’un contrat dans lequel un noble espagnol commanda au peintre Garcia y Delgado 212 tableaux de scènes religieuses à livrer dans un délai de trois mois. Pour pouvoir honorer ses engagements, l’artiste en question devait certainement disposer d’aides fort nombreux.

Les premiers maîtres d’ateliers à Lima furent d’abord des religieux venus d’Italie et d’Espagne comme le Jésuite Bernardo Bitti qui introduisit certains canons de la Renaissance italienne, suivi d’Angelino Medoro (1547-1630) et Mateo Pérez de Alesio. Cette école initiale de Lima conserve dans la forme la tradition académique espagnole et se consacre à des séries assez conventionnelles : toutes les vies de saints qui ornent les cloîtres des églises de la capitale, San Francisco, Santo Domingo, la Merced ou encore San Agustin datent de cette première manière.

Le grand initiateur est Bernardo Bitti (1548-1630). Né en Italie, ce peintre de la compagnie de Jésus travailla d’abord à Lima avant de venir à Cuzco en 1575, au moment de la construction de la cathédrale. Il introduit dans les ateliers de la ville un style alors en vogue en Europe : le maniérisme dont l’une des caractéristiques est le traitement allongé des visages ainsi qu’une certaine sophistication dans la posture des personnages, vers lesquels converge la lumière. Les premiers plans sont très accentués, au détriment des arrière-plans et des paysages, quasiment inexistants. Les drapés amples qui recouvrent les Vierges et les saints sont peints de tons pastel. C’est une peinture très idéalisée, où l’on reconnaît les influences du Greco et de Raphael. Peu de ses tableaux sont signés de sa main; deux de ses deux oeuvres majeures peuvent être admirées, non pas à Cuzco mais dans l’église San Pedro à Lima : le somptueux Couronnement de la Vierge et la Vierge de la Candelaria, sans doute réalisées après son retour à Lima en 1610.


Bernardo Bitti : Le couronnement de la Vierge (église San Pedro, Lima).

Après la mort de Bitti, son élève, le Jésuite Diego de la Puente (1586-1663) continua dans la voie du maniérisme, travaillant pour les églises son ordre à Trujillo, Lima (la grande Cène conservée dans le réfectoire du couvent de San Francisco), Cuzco et Juli. On trouve aussi plusieurs de ses oeuvres à La Paz et Santiago du Chili. Dans le même courant, Luis de Riano, né à Lima et élève du peintre italien Angelino Medoro, actif entre 1618 et 1640, est l’auteur connu d’une belle Annonciation (1632) et surtout des extraordinaires fresques murales de l’église d’Andahuaylillas, un village proche de Cuzco, surnommée depuis « la chapelle Sixtine du Pérou ».

Diego Quispe Tito (1611-1681) peintre métis né dans la paroisse cuzquénienne de San Sebastián est généralement considéré comme le « fondateur » de l’Ecole de Cuzco au 17e s. Son style, à l’origine inspiré du maniérisme de Bernardo Bitti, s’enrichit par l’’influence des tableaux et des gravures flamandes venues d’Anvers. Son oeuvre préfigure l’évolution de la peinture cuzquénienne au siècle suivant : on y note une certaine liberté dans l’usage de la perspective, une importance jusqu’alors inconnue donnée au paysage ainsi qu’à la faune et à la flore. Plantes, fleurs et oiseaux selvatiques se mêlent dans des décors où sont plaquées des architectures tirées d’estampes européennes. Un de ses thèmes décoratifs assez fréquents, le perroquet, est interprété par certains historiens de l’art comme un message caché de résistance et une allusion évidente à la noblesse inca.
L’une de ses principales réalisations se trouve encore dans la nef de l’église San Sebastián à Cuzco : la série de douze tableaux de la Vie de Saint Jean Baptiste, réalisés autour de 1633. Mais son oeuvre maîtresse demeure la série du Zodiaque de la cathédrale de Cuzco (1681) suite de neuf tableaux correspondant chacun à un signe zodiacal, illustré par une parabole de la vie du Christ.

Basilio Santacruz (forme abrégée de Basilio de Santa Cruz Puma Callao), autre peintre métis de la seconde moitié du 17e s., s’inscrit dans la plus forte tradition du baroque cuzquénien; dans ses oeuvres, on peut pour la première fois établir un parallèle entre la peinture coloniale du Pérou et la peinture espagnole. Ses compositions sont dynamiques, très décoratives et ses tableaux de grandes dimensions. A la différence de Diego Quispe Tito, il ne s’inspire plus seulement de gravures flamandes mais de peintres espagnols comme Murillo et Valdés Leal, que lui a fait connaître son principal mécène, l’évêque de Cuzco Manuel Mollinedo y Angulo, qui fut le grand promoteur de l'art baroque à Cuzco.
De Basilio Santacruz, la cathédrale de Cuzco conserve de nombreux tableaux : Martyre de San Idelfonso, Miracle de Sans Isidro Labrador, Vierge de Belén, Vierge de la Almudena, la série des Saintes Martyres, ainsi qu’une Apparition de la Vierge a San Felipe Neri. Les vierges de Basilio Santacruz sont du type « vierge-montagne », dessinant avec leur grande robe la forme d’une pyramide : pour certains spécialistes, il s’agirait d’une représentation syncrétique de la Pacha Mama, la « mère-terre » (ou mère nourricière) vénérée au temps des incas.


Basilio Santacruz : La Vierge de Belén (cathédrale de Cuzco).

Dans le couvent de l’église San Francisco, se retrouve une série de la Vie de Saint François, dont seul le dernier tableau est signé et daté (1667) tandis que dans l’église de la Merced on peut voir un Martyre de San Laureano, oeuvre typiquement baroque peuplée d’anges, dans le style de Murillo. La réputation de son atelier fut encore assez grande pour qu’on lui demande une série de 24 tableaux, encore consacrés à la Vie de Saint Francois (1670-1680) réalisée pour le couvent de San Francisco, à Santiago du Chili.

 C’est d’ailleurs Basilio Santacruz qui semble être à l’origine, avec Diego de la Puente, d’un genre très particulier à l’école cuzquénienne : celui des anges ou archanges porteurs d’arquebuses, casqués et vêtus comme les gardes du vice-roi, qui donna lieu par la suite à une production pharamineuse. On a voulu voir dans ce thème une défense de la Contre-Réforme promulguée par l’église catholique, ou alors – à cause de l’arquebuse - une allusion occulte à Illapa, ancienne divinité andine de l’éclair et du tonnerre. L’une des plus belles séries du genre est rassemblée dans le musée Pedro de Osma à Lima.

D’auteur hélas anonyme, l’une des séries les plus fameuses de l’école de Cuzco est celle des seize tableaux (vers 1680) représentant la Procession Corpus Christi à Cuzco, que l’on peut admirer dans le musée d’art religieux de la ville. Oeuvres maîtresses pour la richesse de leurs couleurs, la qualité du dessin et l’abondance de détails qu’on y rencontre, elles sont aussi d’une très grandes valeur pour l’histoire sociale et ethnographique de la colonie, puisqu’elle dépeignent la Procession du Corpus Christi telle qu'elle fut instituée au 16e s, peu après la Conquête, où plusieurs personnages donnent une idée des costumes portés par les Incas, les hauts dignitaires de l'empire et les princesses, tous récemment christianisés.


Procession du Corpus Christi à Cuzco (Anonyme, vers 1680) - Museo de Arte Religioso

Entre la fin du 17e s. et jusqu’à la moitié du 18e, les artistes de Cuzco ont créé l’une des écoles picturales les plus typiques de l’art colonial espagnol. Dans l’ensemble, l'aspect décoratif et les couleurs vives priment sur la dynamique de la composition. Les sujets centraux y sont le plus souvent représentés debout dans une posture hiératique, vêtus d’amples manteaux richement décorés et rehaussés à la feuille d’or, procédé sans doute le plus caractéristique de la peinture cuzquénienne et connu sous le nom de brocateado. On peut être allergique à cette peinture pour son caractère figé et sa théâtralité : à côté de leur christianisme de commande, les productions de l’école de Cuzco ont un côté gravure de mode au dessin très linéaire qui devait traduire la mentalité dominante de l’époque : une gravité de façade et un désir de luxe très évident.

Marcos Zapata (1710-1773) est l’artiste cuzquénien le plus important du 18e s. Avec lui, la peinture coloniale péruvienne prend une autre dimension, s’affranchissant des carcans esthétiques de la première école de Cuzco. La majeure partie de son oeuvre colossale (plus de 200 tableaux recensés) prend place entre 1748 et 1764. On en trouve une bonne partie dans la cathédrale de Cuzco, où est accrochée, à droite du choeur, sa fameuse Cène (1753) où les mets de la sainte Table sont typiquement andins : un cochon d’inde et des fruits tropicaux. La plupart de ses tableaux ont souvent pour fond les paysages montagneux de la sierra, comme dans sa série de la Vie de Marie Madeleine, conservée dans la sacristie de l’église de la Compañia. Sur sa palette, la préférence est donnée aux couleurs vives, comme le rouge et le bleu. Dans les décades suivant sa disparition, il eut plusieurs continuateurs parmi ses élèves, dont Antonio Vilca et Ignacio Chacón, auteur de la série de la Vie de San Pedro de Nolasco (1763) qui orne le cloître de l'église de La Merced à Cuzco.


Cathédrale de Cuzco : la fameuse Cène andine de Marcos Zapata


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