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Guide du Pérou |
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Le Cañon du Colca
Itinéraire de 196 km A-R depuis Arequipa. Compter 2 jours avec une nuit à Chivay
Situé entre 200 et 800 m d'alt. et atteignant deux fois la profondeur du Grand Canyon du Colorado, la trouée creusée par le Rio Colca près de la petite localité de Cabanaconde (province de Cailloma) atteint 60 km de largeur et 3400 m de profondeur. Aussi appelé Cañon de Majes, il avait d'abord été exploré par George Johnson et Robert Shipee pour le compte de l'American Geographical Society en 1931, mais fut littéralement redécouvert par le géographe péruvien Gonzalo de Reparaz Ruiz en 1954. En 1981, l'expédition polonaise CanoAndes fut la première à en effectuer la descente en rafting et en kayak.
C'est à partir d'Arequipa que l'on trouvera les plus grandes facilités d'excursion vers le cañon, qui est devenu l'un des hauts lieux du tourisme d'aventure au Pérou : les agences de tourisme proposent le transport en microbus, des raids en VTT ainsi que des parcours de rafting (pas pour les débutants!). Plusieurs compagnies d'avions-taxis, à Arequipa, organisent des vols au dessus du Cañon de Majes, ce qui est encore la meilleure manière de jouir d'une perspective extraordinaire sur cette curiosité naturelle unique, sans doute l'une des gorges les plus profondes au monde.
Par la route, le moyen plus commode pour découvrir le cañon est de se rendre à Chivay (alt. 3640 m - 148 km d'Arequipa, compter 5 H en mini-bus). Ce gros bourg qui compte nombre d'hôtels et de petits restaurants est l'étape toute désignée pour passer la nuit avant de partir visiter le canyon le lendemain de bonne heure. A 4 km par une bonne route, on peut aller se baigner au petit établissement thermal de La Calera qui compte deux piscines à 38° C alimentées par une source naturelle d'origine volcanique. Juste à côté, un pont suspendu franchit le rio Colca et donne accès à un secteur de terrasses de cultures aux imposantes murailles de pierre, le tout dans un paysage agreste parsemé par endroits de grands blocs erratiques.
De Chivay partent deux routes en terre, surplombant les rives droite ou gauche du rio Colca. La route classique est celle de la rive gauche. Dans ce secteur, les deux versants, déjà très escarpés, portent la marque d'un titanesque travail humain et sont littéralement échelonnés par d'étroites terrasses de cultures - ou andenes - qui couvrent une superficie de près de 8000 ha. Toujours en service, ils furent construits à l'époque pré-incaïque par les Collaguas et les Cabanas, premières peuplades sédentarisées dans la région.
Premiers peuples du Colca
Les premières traces de peuplement dans la région du Colca remontent à 6000 av. J.-C. Des groupes de chasseurs-cueilleurs, probablement venus de l'Altiplano, parvinrent à domestiquer les troupeaux de camélidés et à cultiver quelques plantes. Vers 900 av. J.-C., deux groupes distincts, les Collaguas et les Cabanas, occupent la région dans de petits hameaux. À partir du 7e s., sous la domination de l’empire Huari, ils développent des cultures en terrasses (andenes) lesquelles permettent à la population de croître dans la vallée. Ils ensevelissent leurs défunts dans des niches taillées dans les rochers qui dominent les rives du canyon : on aperçoit parfois des vestiges de ces sépultures le long de la route entre Yanque et Cabanaconde. Vers 1450, les Incas prennent possession du canyon. Ils perfectionnent l’agriculture et l’irrigation, et créent notamment des greniers (colcas en quechua) dans les falaises, où les récoltes sont mises à l’abri durant la saison des pluies. En 1540, après avoir fondé Arequipa, les Espagnols conduits par le redouté Manuel de Carbajal, surnommé "le démon des Andes", s'emparent de la région. Quelques années plus tard, en 1567, le vice-roi Francisco de Toledo oblige les indigènes à se regrouper au sein de quatorze réductions afin de les évangéliser plus aisément et surtout, de faciliter le travail forcé dans les encomiendas. Ces anciennes réductions sont devenues les villages que l'on traverse aujourd'hui sur les deux rives du canyon.
Les descendants des deux ethnies originelles du Colca cohabitent encore de nos jours : les Collaguas qui parlent l’aymara et se disent les fils du volcan Collagua dont ils seraient sortis des entrailles, occupent la partie haute de la vallée, vers Chivay et Maca. Les Cabanas, qui parlent le quechua, sont établis plus bas, autour de Cabanaconde. Ils affirment provenir des profondeurs de la montagne Hualca Hualca. Les femmes Collagua arborent une capeline colorée, entièrement brodée et bien arrondie, qui imite la forme conique d'un volcan. Les femmes Cabana, quant à elles, sont coiffées d’un panama blanc, décoré de perles et de broderies pastel.
On traverse les villages de Yanque qui possède une vaste Plaza de Armas où trône une imposante église coloniale, Achoma et Maca, village fameux pour sa belle église du 18e s. au portail sculpté dans la pierre blanche. Très endommagée par le séisme de 1991, elle a été minutieusement restaurée.
Une dizaine de km plus loin, on fait généralement halte au Roc de Choquetico, grosse pierre gravée dressée au bord du précipice : d'après la tradition, les architectes incas y auraient gravé une réplique des terrassements que l'on voit sur l'autre rive. De cet endroit, magnifique vue sur les innombrables andenes de la rive droite du rio Colca, qui épousent les courbes de niveau des contreforts de la cordillère de Chila dont on aperçoit au fond les sommets enneigés.
Après le petit village de Pinchollo, on parvient au belvédère de la Cruz del Condor (40 km depuis Chivay) d'où l'on découvre, sur un a-pic vertigineux (1200 m de hauteur), une vue époustouflante du cañon. Tôt le matin, il n'est d'ailleurs pas rare d'y apercevoir des condors le survoler. Les minibus remplis de touristes s'agglutinent dans le secteur généralement entre 8h et 9 h du matin. Les condors reviennent planer en fin d'après-midi, à partir de 17 h. Le versant Nord qui fait face au belvédère, est une gigantesque muraille horizontale surplombant le rio Colca à une altitude de 3100 m : son sommet enneigé est parfois masqué par les nuages.
A 60 km Chivay, on arrive à Cabanaconde (alt. 3287 m), là-même où le cañon est le plus encaissé. La bourgade, très animée les jours de marché, présente elle aussi une grande église coloniale au magnifique portail sculpté. On y trouve quelques pensions ainsi que des guides qui connaissent les chemins escarpés descendant au fond du canyon. Plus en aval, le rio Colca reçoit le tribut du rio Andamayo et prend le nom de rio Majes, en traversant la pampa de Majes, là-même où l'on trouve les pétroglyphes de Toro Muerto. En arrivant dans la région côtière, il prend le nom de rio Camaná et se jette dans le Pacifique près de la petite ville du même nom.
Au sud de Cabanaconde, une mauvaise route peu fréquentée, s'écartant du rio Colca, se poursuit vers Huambo, 40 km plus loin. Au delà, elle devient une piste qui redescend vers la Panaméricaine Sud mais aucun transport organisé ne l'empruntant, il faut donc revenir à Chivay pour regagner Arequipa.
Le Projet "Majes"
En 1971, le gouvernement militaire du général Velasco officialisa un gigantesque projet d'irrigation des pampas désertiques de Majes et Sihuas, à l'ouest d'Arequipa. Il s'agissait de capter les eaux des bassins supérieurs des rios Colca et Apurimac et de les amener vers ces régions côtières déshéritées en franchissant la cordillère volcanique (dont fait partie le Nevado Ampato) par une conduite forcée en souterrain, complétée d'un vaste système de canaux. Pendant une décennie, les médias et les politiques glorifièrent cette entreprise, présentée comme une grande cause nationale, et dont la réalisation serait l'orgueil du pays. Il ne fallut pas moins de douze années pour achever la première phase de ces travaux titanesques.
On réalisa d'abord, en amont de Chivay, le lac de retenue de Condorama, d'une capacité de 285 millions de m3, pour emmagasiner les eaux du rio Colca. Prévue plus au nord, une autre retenue, celle d'Angostura (1000 millions de m3) qui devait prendre les eaux de l'Apurimac et les amener vers le Colca au moyen d'un tunnel franchissant la ligne de partage des eaux entre Atlantique et Pacifique, n'a pas encore été réalisée. Les eaux libérées par la retenue de Condorama se déversent ensuite dans un second réservoir, creusé peu en amont de Chivay, dénommé Bocatoma (275 millions de m3).
A partir de cette prise d'eau, on perça un tunnel de 88 km de long sous le massif du Nevado Ampato, complété en aval par un canal de 12 km de long rejoignant le lit d'un petit fleuve très intermittent, le rio Sihuas. Une trentaine de km plus loin, cet afflux d'eau (entre 30 et 15 m3 par seconde) parvient à la prise d'eau de Tipay, d'où elle est distribuée dans les pampas de Majes et de Sihuas, irriguant désormais une superficie agricole de près de 65 000 ha. par un réseau complexe de canaux principaux et secondaires.
Une seconde étape de cet interminable projet consistera dans la construction de la centrale hydroélectrique de Tacurani, alimentée par le lac de retenue de Condorama et par celui d'Angostura, lorsqu'il sera réalisé. En attendant, la première phase du projet Majes aura certainement été la plus grande entreprise d'ingénierie hydraulique exécutée au Pérou au 20e s. Les Incas, qui étaient déjà passés maîtres dans le domaine de l'adduction d'eau, n'auront pas eu à rougir de leurs descendants.
Le lac de retenue de Condorama (alt. 4100 m), au nord-est de Chivay (photo Proyecto Majes-Sihuas)
©Daniel DUGUAY
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