les meilleurs agriculteurs du Nouveau Monde
La société dominée par les Incas vivait essentiellement de l'agriculture. Les terres étaient cultivées en commun. On les divisait en trois parts, suivant les ordonnances strictes de l'Etat. Un premier lot revenait au dieu Soleil, c'est à dire que les fruits de cette terre serviraient aux rites et aux cérémonies. Le second était réservé à l'Inca, à sa famille, ses serviteurs, ses soldats. Le troisième enfin était réparti entre les cultivateurs. entre les membres de l'ayllu, ou communauté.
Les sols changeaient du tout au tout suivant leur situation : peu de
points communs en effet entre les sables des régions
côtières et les terres des hauts plateaux, entre les
coins de forêt et les surfaces enneigées. La sierra,
où se concentrait la majorité de la population
indienne, était entrecoupée de profondes
vallées. Sur leurs flancs, les cultures
s'échelonnaient, conditionnées par le climat. C'est
pourquoi l'on a pu caractériser l'économie andine de
"verticale".
Les productions
La vie de I'Empire était déterminée par deux
systèmes de production différents : la culture de la
pomme de terre et l'élevage du lama sur les hauts plateaux, la
culture du maïs dans les régions moins
élevées. Cette dernière permettait de constituer
le gros des réserves.
On prétend que la pomme de terre a son origine dans les
Andes. Perfectionnant son exploitation au cours des siècles,
les Indiens en obtinrent jusqu'à 700 variétés,
dont certaines poussaient a plus de 5000 mètres d'altitude. Le
climat de la puna était favorable à la
fabrication du chuño
,
produit à base de pommes de terre séchées et
déshydratées sous l'action du gel et du soleil, qui
pouvait se conserver pendant des années.
Le paysan andin sut tirer le meilleur parti possible du milieu
hostile dans lequel il vivait. On estime qu'il parvint à
obtenir, par greffes et sélections, une quarantaine de
produits différents répartis sur les étages
climatiques de sa géographie. Il cultiva, en plus du maïs
et de la pomme de terre, des céréales extrêment
nutritives, comme la quinua (ou quinoa) et la quiwicha qui peuvent
pousser jusqu'à plus de 4000 m d'altitude, différentes
variétés de haricots, le piment, la cacahuète,
la courge, l'avocat et le coton, pour ne nommer que les produits les
plus importants. Il obtint aussi certaines variétés
d'orchidées, fleur rare, et la coca, cette plante
magique des Andes, dont les feuilles stimulent en même temps
qu'elles aident à lutter contre la faim. la soif et la
douleur.
Méthodes de
culture
Sur les hautes terres, les cultures étaient fortement
influencées par les pluies, vu que l'irrigation était
rendue pratiquement impossible par l'altitude. Les récoltes
variaient donc selon les conditions climatiques dont elles avaient
bénéficié. Le maïs était plus
délicat que la pomme de terre. Il exigeait un certain
degré d'humidité et ne supportait pas un climat aussi
rigoureux. On ne pouvait le cultiver à plus de 3500 m ni
à moins de 1500, où l'air devenait trop sec. Il
exigeait un système d'irrigation difficile à mettre au
point. La déclivité du terrain rendait le travail
délicat et l'on y remédiait le plus souvent en
construisant des plateformes en terrasses, les
fameuses andenes
dont on peut encore
admirer les plus beaux exemples à Pisac ou à Machu
Picchu, dans la région de Cuzco.
Les centaines de kilomètres du réseau d'irrigation suscitent aujourd'hui encore notre admiration. On amenait l'eau, qu'elle vienne des glaciers voisins ou de la nappe phréatique grâce à un système de canaux et d'aqueducs qui permettaient un arrosage régulier. Les incas n'innovèrent pas dans ce domaine : ils se contentèrent d'améliorer les ouvrages hydrauliques construits par les précédentes civilisations, comme le fameux acqueduc de Cumbe Mayo dans le Nord du Pérou ou les puquios (canaux semi-souterrains) de la région d'Ica et Nazca, sur la Côte centrale.
Les sols destinés à la culture de la pomme de terre devaient être laissés en jachère de temps en temps. Pour éviter de devoir faire de même avec les cultures en terrasses, les Incas introduisirent l'usage d'engrais, permettant des récoltes de maïs quasi ininterrompues. On récupérait des excréments humains et animaux. On utilisait surtout le guano , fait de fientes d'oiseaux de mer qui s'accumulaient sur les îles Chincha, non loin de la côte. On surnomma ces îles "terres des neiges" à cause de leur blancheur. Une soigneuse répartition du guano permettait à toutes les communautés d'en profiter.
Le travail communautaire
et la répartition des terres
Les lots distribués aux familles comprenaient des terres
situées à différentes altitudes, permettant par
conséquent des cultures diverses. On appelait tupu
l'unité de terre nécessaire à la subsistance
d'une personne.
Les paysans cultivaient pour commencer les terres reservées au
Soleil et à l'Inca, puis s'occupaient des parcelles des vieux,
des malades, des veuves et des orphelins, ou aussi de ceux qui
avaient dû s'absenter : soit pour accomplir leurs obligations
militaires, soit qu'ils avaient été
réquisitionné pour de grands travaux, dans le cadre de
la mita (terme que l'on pourrait traduire par "
corvée"). Ils travaillaient enfin leurs propres terres, sans
jamais négliger d'aider leurs voisins.
La culture des terres de l'Inca prenait des allures de fête. Vêtus comme pour une cérémonie, les paysans répondaient dès l'aube à l'appel de leurs chefs. Et, sous le regard vigilant de ceux-ci, hommes, femmes et enfants se rendaient dans les champs indiqués. Les fonctionnaires répartissaient le travail et les cultivateurs se plaçaient en file, chacun ayant sa femme devant lui. Ils attaquaient alors le travail, d'un commun élan, au rythme de leurs chansons...
Les incas ne connaissaient
pas la charrue et utilisaient pour labourer un instrument assez
rudimentaire, appelé
taclla,
qui est toujours en usage dans les Andes aujourd'hui. Il s'agissait
d'une pièce de bois dur d'un peu plus d'un mètre de
long et de la grosseur d'un bâton ou d'un petit pieu, sur
lequel on fixait une sorte de crosse. On attachait en outre à
la partie inférieure une courte pièce de bois
placée à angle droit et sur laquelle l'Indien appuyait
le pied quand il enfonçait la taclla dans le sol.
Il lui imprimait alors des mouvements d'avant en arrière pour
ouvrir la terre, que les femmes émiettaient
immédiatement de leurs mains. Elles enlevaient les pierres et
y jetaient ensuite les graines. La présence des Indiennes
n'étaient pas seulement utilitaire. On leur reconnaissait des
pouvoirs surnaturels. Elles devaient se trouver en effet. elles qui
étaient mères, en contact plus étroit que les
hommes avec cette autre mére qu'était la terre :
la Pacha
Mama.
Stockage et
répartition
Après les récoltes, les excédents de
céréales, de même que les produits correspondant
aux terres du Soleil et de l'Inca, étaient transportés
à dos d'homme ou de lama jusqu'aux dépôts publics
et aux silos, dénommés collcas. On en
déposaient également dans les tambos, relais
placés sur les routes et servant à ravitailler les
voyageurs ou les troupes en mouvement.
Ces sortes de "magasins d'Etat" étaient placés sous
surveillance militaire. Un corps de magasiniers contrôlaient
l'entrée et la sortie des marchandises au moyens de
leurs kipus.
On entreposait surtout les
graines de toutes sortes, le coton, la laine et les réserves
alimentaires dans lesquelles on puisait de quoi nourrir
l'armée, le clergé et la noblesse. Une part importante
des marchandises était cependant réservée
à compenser d'éventuelles catastrophes naturelles.
Lorsqu'une communauté était victime d'un tremblement de
terre, d'une invasion ennemie ou de tout autre calamité
fortuite, elle recevait le secours de l'Etat. Les excédents
amassés venaient alors dédomager les pertes subies.
Lors de la conquête, les Espagnols, qui découvrirent ces
réserves un peu partout, durent convenir qu'elles auraient pu
suffire à nourrir la population du Pérou pendant une
dizaine d'années !
(Textes adaptés de : La Vie des Incas dans l'Ancien Pérou, par Jésus et Lucienne Romé. Ed. Minerva, Genève 1978-1981)
©Daniel DUGUAY / dduguay@club-internet.fr