Les Incas et l'architecture


L'architecte inca (peinture de Jorge Sabogal) - La fameuse "Pierre au douze angles", ou Hatun Rumiyoc, à Cuzco (photo D. Duguay).

Héritier des états déjà urbanistiques de Tiahuancaco, de Wari et des cultures antérieures de la côte, les Incas furent de grands bâtisseurs. Ils couvrirent leur empire de constructions à usage civil, militaire ou religieux dans le même style à la fois monumental et austère qui caractérise leur architecture : bâtiments massifs dépourvus de toute décoration, si ce n'est des niches, des portes et des fenêtres invariablement trapézoïdales. En fonction de l'importance officielle du bâtiment à construire, ils utilisaient les meilleurs matériaux comme le granit gris de la vallée de l'Urubamba ou encore la diorite et l'andésite. L'appareillage dépendait aussi de la fonction du mur à élever : les murailles de la forteresse de Sacsayhuaman, censée protéger Cuzco, sont en blocs de diorite de type polygonal, comme les murs des terrasses et des cours. La pierre fut le matériau principal des architectes incas, mais une fois la Côte conquise, ils reprirent les techniques existantes depuis fort longtemps en employant des agglomérés de terre séchée au soleil, sous forme de briquettes de pisé (adobe) ou de plus gros blocs du même matériau, que l'on appelle adobones, comme à Pachacamac, Paramonga ou Incahuasi. Les murs des bâtiments civils ou religieux sont généralement en appareillage rectangulaire. Les pierres meulées et polies avec du sable mouillé, transportées parfois depuis fort loin et hissées par des rampes de terre et de sable sont toujours si parfaitement assemblées qu'on à pu dire "qu'il était impossible d'y introduire une lame de couteau". Si l'on employait dans certains cas le mortier pour unir les blocs, on le déposait toujours à l'intérieur du mur, de façon qu'il soit invisible de l'extérieur. La plupart du temps, on ne mettait aucun mortier, et l'on reliait les masses par un système de pierres-clés, comprenant des éléments mâles et des éléments femelles. Ce genre de construction, très ingénieusement conçu, était en outre - d'après des observations récentes - parfaitement anti-tellurique, puisqu'il s'est avéré capable de résister à tous les tremblements de terre qui ont secoué les Andes Centrales depuis le 16e s.
De plan rectangulaire (à l'exception notable du Temple du Soleil), les bâtiments et pièces sont recouverts de toits de chaume reposant simplement sur un poutrage de troncs coupés et encordés. Ignorant la clé de voûte, les Incas utilisaient rarement la colonne. Toute cette architecture restait très fonctionnelle, sans guère laisser de place à la fantaisie. La sculpture sur pierre était quasiment inexistante chez les incas et l'on a pas, ou très peu d'exemples qu'elle ait été utilisée à embellir des façades.

L'architecture rurale était, bien entendu, beaucoup plus simple et plus rustique que l'architecture militaire ou politique, mais se caractérisait tout de même par un aspect fonctionnel et un choix judicieux des emplacements. Elle était construite en appareillage de pierres grossières et non taillées, cette fois assemblées au mortier de boue séchée, ce que l'on appelle le style "pirca". En ce qui concerne l'habitat, les demeures étaient généralement petites; on y accédait par une étroite porte, le plus souvent de forme trapézoïdale, comme les fenêtres. Les demeures rustiques ou populaires ne possédaient d'ailleurs qu'une seule ouverture, qui était la porte. Les niches où l'on rangeait les ustensiles, également trapézoïdales, étaient d'un usage courant. On y plaçait également des idoles.


Architecture inca : maisons de Machu-Picchu

Les villes
Dans les plaines, les llactas, ou capitales de province, étaient fondées sur un plan en damier, s'articulant autour d'une place centrale, théâtre des grandes cérémonies politiques et religieuses qui rythmaient le calendrier annuel. Les ruelles étroites et pavées étaient bordées des bâtiments principaux : palais annexe de l'Inca, Temple du Soleil, maison des femmes choisies (acclahuasi), demeures du curaca et des notables... Les exemples les plus vivants de cet urbanisme quadrangulaire sont les bourgades de Pisac et d'Ollantaytambo dans la vallée du rio Urubamba. Contrairement à une idée reçue, ce type de plan n'a pas été importé par les Espagnols pendant la conquête - qui auraient repris là le schéma typique du castrum romain - Par contre, ils s'en accomodèrent fort bien ensuite pour créer des réductions (rassemblements de populations indigènes) et surtout pour tracer le plan de Lima en 1532.

Les andenes
Dans le domaine de l'architecture et de l'ingénierie agricole, le système des terrasses de cultures, les fameuses andenes n'est pas une invention des incas; il existait depuis des temps très reculés, s'étant sans doute développé depuis la culture Huarpa, qui précéda l'influence de la civilisation expansionniste de
Tiahuanaco-Huari. Néammoins, les Incas le perfectionnèrent et le généralisèrent dans toutes les provinces de leur Empire, car ils étaient très soucieux d'obtenir de meilleurs rendements agricoles. Ils accrurent aussi les travaux d'irrigation, en reconstruisant ceux qui existaient déjà dans les provinces arides du Nord depuis l'époque des Chimú.


Cultures en terrasses, ou "andenes" près de Pisac (photo D. Duguay)

Des routes, des ponts, des relais de poste...
La construction de ponts et de chemins, dont l'agencement et la longueur du réseau (estimée à 15 000 km, de la Colombie à l'Argentine) fit l'émerveillement des Espagnols à leur arrivée, ne peut s'expliquer autrement que par un désir d'expansion territoriale, de contrôle des territoires récemment conquis, mais aussi par une volonté administrative très centralisatrice, qui nécessistait un acheminement rapide des nouvelles de la province vers la capitale et vice-versa. C'est par ces chemins faits de pavés ou de sol stabilisé dont la largeur atteignait parfois 5 m en plaine, que les courriers, ou
chasquis, parcouraient en courant des distances inimaginables en un temps record. Les routes, parmi lesquelles le fameux Capac Nan, ou Chemin de l'Inca qui reliait Cuzco à Quito, sillonnaient le pays entier : les troupes trouvaient ravitaillement et repos dans des auberges d'Etat, les tambos, situées tout le long des itinéraires, à des espaces réguliers. En montagne, le chemin de l'Inca était parfois percé de tunnels et les ponts étaient soit construits en petites pierres pour permettre le passage des gorges étroites, soit faits de lianes et suspendus au-dessus des grands fleuves.


A g. : le chemin de l'Inca entre Cuzco et Machu Picchu (photo D. Duguay) - A dr. : le vieux pont suspendu sur l'Apurimac (dessin de George Squier)


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