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De la chronique à l'archéologie : |
Avant la découverte du Carbone 14, chaque archéologue, depuis Max Uhle, avait élaboré une chronologie de l'Ancien Pérou résultant de ses propres observations, ou simplement basée sur des calculs "à vue d'oeil". On put ainsi arriver à des extrêmes incroyables, conférant, par exemple, une antiquité de 13 000 ans au site de Tiahuanaco !
Aujourd'hui heureusement, l'évolution des méthodes scientifiques a permis de faire des progrès considérables quant à la datation des différentes strates composant un gisement archéologique, et de déterminer avec assez de précision les séquences culturelles qui s'y rapportent. Les chronologies personnelles et les calculs aventureux ne sont plus de mise.
Néammoins, la comparaison des différentes chronologies proposées par les chercheurs au cours du 20e s. est intéressante : elle permet de dresser un panorama de la recherche pendant toute cette période, et de mesurer l'évolution du savoir archéologique concernant les civilisations précolombiennes du Pérou. Les découvertes récentes, ou à venir, ne manqueront pas de l'affiner peu à peu.
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III) Tiahuanaco |
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En 1870, sur le littoral bordant la baie d'Ancón, lors de la construction du chemin de fer Lima-Chancay, des tombes souterraines, en très grand nombre, furent mises à jour. Elles formaient un vaste cimetière - d'une importance comparable à la nécropole de Paracas - occupant le cône central de la baie. Des compatriotes de Max Uhle, Reiss et Alfons Stubel y entreprirent, à partir de 1874, des fouilles systématiques et publièrent le résultat de leurs recherches : Das Totfendel von Ancon in Peru (Berlin, 1880-1887), monumental ouvrage en 3 volumes, illustré d’une centaines de planches en couleurs qui sont des dessins d’une fidélité extraordinaire. Stubel travailla également avec Max Uhle à Tiahuanaco et cosigna avec lui le premier ouvrage important sur ce site : Die Ruinenstätte von Tiahuanaco im Hochlande des alten Peru (1892).
L’anthropologue suisse Adolph Bandelier mena entre 1892 et 1903 de nombreuses campagnes de fouilles dans le Nord du Pérou, l'altiplano, ainsi qu'en Bolivie. S'il est considéré comme l'un des précurseurs des études archéologiques dans la région du lac Titicaca (The Islands of Titicaca and Koati, 1910), il fut également l'un des premiers à mener des investigations sérieuses en 1893 sur la citadelle de Kuelap - la capitale des indiens Chachapoyas dont il laissa de nombreux plans et croquis. Dans la même région, il signala l’existence des purumachus, nécropoles typiques de cette culture, constituées de momies recouvertes d’argile et perchées dans des niches creusées dans les falaises du rio Uctubamba.On ne sait trop dans quelle catégorie classer Hiram Bingham (1875-1956), voyageur, explorateur ou aventurier, mais aussi docteur en philosophie devenu pasteur protestant avant de finir sénateur. Il fut tout cela et eut surtout le mérite, ou la chance, de découvrir le site de Machu Picchu en 1911 alors qu’il recherchait les ruines de Vilcabamba la Vieja, dernier refuge des Incas après la conquête, sans doute aiguillé là par les anciennes explorations de Sartiges et de Wiener. Cette découverte capitale a longtemps occulté toutes les autres richesses archéologiques du Pérou et cet effet pervers dure encore... En 1948, il publia Lost city of the Incas qui demeure encore l’un des ouvrages essentiels sur Machu Picchu.
NORD |
CENTRE |
SUD |
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1ère époque |
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Cuzco initial |
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2e époque |
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3e époque |
Callejon de Huaylas II, Marañon II |
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4ème époque (1320-1532) |
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Alfred Louis KROEBER (1876-1960)
Après avoir mené en 1925 une campagne de fouilles dans les vallées de Lima, Cañete et du Rio Chillon, cet archéologue et anthropologue nord-américain travailla en 1926 à Nazca et Paracas avec Julio C. Tello avant d'aller dans le Nord étudier la culture Chimu.
Kroeber proposa dans les années 1930 une classification historique élaborée à partir du matériel céramique qui avait été recueilli par Max Uhle sur le site de la pyramide de Moche (près de Trujillo) et qui était conservé à l'université de Berkeley, en Californie. En 1942, il définit la notion d'Horizon stylistique : il distinguait les périodes Pré-Tiahuanaco, Tiahuanaco, Tiahuanaco-Huari, Pré-Inca et Inca, divisées chacune en "Ancien", "Moyen" et "Tardif". Devenu directeur du Musée de Berkeley, il y fonda en 1945 l'Institute of Andean Research où allaient travailler, sous sa direction, toute une pléiade d'excellents archéologues.
Le Péruvien Jorge C. Muelle (1903-1974) formé à l'école des beaux-arts de Lima, alla étudier l'archéologie à Berlin auprès de Max Uhle en 1936 et plus tard dans les universités de Yale et de Berkeley. Auparavant, il avait déjà réalisé des fouilles à Paracas (1931), dans les environs de Lima (1935) ainsi qu'à Pacaritambo, près de Cuzco. Nommé directeur du Musée National d'Anthropologie et d'Archéologie (1956), il fut surtout un spécialiste des civilisations côtières du Pérou.
Dans les années 1930 se détache aussi la grande figure de Wendell Clark Bennett (1905-1953), professeur à l'université de Yale, qui fut le second grand archéologue de Tiahuanaco après Max Uhle : c'est lui qui y découvrit en 1932 le grand monolithe qui porte son nom. Il poursuivit ensuite ses recherches dans le nord du Pérou, notamment dans la région de Lambayeque (Chimu archaeology of the north coast of Peru, 1939) puis dans la vallée du rio Virú où il fut l'un des premiers à discerner l'importance de la culture de Galinazo en 1950.
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Junius BIRD (1908-1982)
On doit à l’américain Junius Bird qui pendant 54 ans travailla au Musée Américain des Sciences Naturelles de New-York, d’avoir mis tout particulièrement en lumière la phase de développement dite des Premiers agriculteurs ainsi que les premières manifestations de production textile. Les travaux de Bird apportèrent les preuves de l’existence d’un long développement culturel ayant précédé la connaissance du maïs et de la céramique.
Il avait pris part à plusieurs expéditions archéologiques au Chili de 1934 jusqu’en1942, avant ses premières études sur les ateliers lithiques de Paiján et de Pampa de los Fosiles dans le nord du Pérou (1946-1947), où il établit les caractéristiques de l’Homme de Paiján (-10 000 ans). Ses recherches sur le site de Huaca Prieta lui permirent de découvrir les restes de céramiques les plus anciens de la côte Nord du Pérou.
Avec ces découvertes, apparaissent les premières datations par le carbone 14 et la première chronologie, dite "absolue" pour les débuts de la Période Formative :
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3000 avant J.-C. |
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John H. ROWE (1918-2004)
John H. Rowe, qui avait succédé à Alfred-Louis Kroeber à la tête du département d'archéologie de l'univertsité de Berkeley (Californie), travailla dans le Sud du Pérou, à la suite de William D. Strong, un autre grand chercheur américain, puis dans les Andes, à Huari et à Cuzco. Reconnu comme un des meilleurs spécialistes de la civilisation Inca (The Incas under Spanish institutions, 1957), il dressa en 1958 une classification dont les grandes lignes sont toujours acceptées par la plupart des chercheurs et des historiens : c'est la fameuse classification en trois "Horizons" , séparés par des périodes de transition qu'il baptisa "Intermédiaires".
Période |
NORD |
CENTRE |
SUD |
Initiale |
Guanape |
Las Haldas |
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Horizon Ancien |
Cupisnique |
Rio Chira |
Paracas, Chanapata Chiripa (Bolivie) |
Intermédiaire Ancien |
Moche, Gallinazo,Salinar |
Maranga-Lima (blanc sur rouge) |
Nazca, Pucara (Puno) |
Horizon Moyen |
rouge-blanc-rouge,Wari, Moche |
Pachacamac, Wari,Cajamarquilla |
Wari, Nasca,Tiahuanaco |
Intermédiaire Récent |
Lambayeque, Chimu |
Chancay |
Ica, styles locaux de l'Altiplano |
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Etablie en 1958, cette classification ne pouvait pas prendre en compte les travaux de la mission japonaise de 1963 sur le site du temple de Kotosh, pas plus que les sensationnelles découvertes qui suivirent de sites précéramiques datant de plus de 4000 ans d'antiquité. Les investigations de Junius Bird venaient d'être réalisées et celles de Frédéric Engel étaient en cours. Comme ligne la plus reculée, Rowe avait donc limité son cadre à la Période Initiale, c'est-à-dire à une période commençant, selon lui, vers 1000 avant J.-C.
La Chronologie de Kidder-Lumbreras-Smith
Une nouvelle classification est formulée en 1963 par Alfred Kidder, Luis G. Lumbreras et David B. Smith, dans un volume intitulé Arboriginal Cultural Development Latin America : an interpretative review, publication 4517 de la Smithsonian Institution de Washington. L'ère précolombienne y est divisée en sept périodes, sans les notions d'horizons ou de séquences intermédiaires correspondant à des coupures allant de 500 ans en 500 ans, formulées par Rowe :
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L’archéologie, matière à sensation (fin du 20e s.)
La découverte, en 1988, de la tombe du Seigneur de Sipan dans le Nord du Pérou, par Walter Alva a certainement été - dans l'histoire de l'archéologie précolombienne - la trouvaille la plus marquante des deux dernières décennies du 20e s. Elle fut aussi la plus médiatisée, puisque en partie sponsorisée par la revue National Geographic, accentuant ainsi un phénomène récent de médiatisation à outrance de l’archéologie, désormais sortie de son petit cercle initial de chercheurs et d’universitaires pour rentrer dans l’ère du marchandising, au profit des grands groupes de presse et de télévision.
Les expéditions de l’archéologue et alpiniste américain Johan Reinhardt sur les hauts sommets des volcans d’Arequipa sont un bon exemple de cette tendance. En 1995, il découvrit, dans la calotte glaciaire du Nevado Ampato, à 6300 m d'altitude, la momie d'une jeune fille inca sacrifiée à l'âge de la puberté. Ramenée dans la vallée d'abord à dos d'homme, puis à dos d'âne, celle qui fut appelée Juanita ou encore "la momie des glaces" (aujourd’hui conservée dans un musée à Arequipa après avoir été exhibée dans plusieurs expositions aux États-Unis) se révéla être pour les scientifiques un véritable trésor d'informations et pour Reinhardt une manne qui lui permit de financer d’autres recherches par la suite.
Plus controversée fut l’affaire des momies du lac des Condors, près de Chachapoyas, où l'archéologue F. Kauffman Doig avait découvert en 1997, une vaste nécropole perchée sur les falaises comprenant près de 280 momies disposées à l'intérieur de petits mausolées funéraires ou "chullpas". Après avoir fait un relevé précis des lieux et soucieux de laisser en l'état, il présenta auprès de l'INC (Institut National de Culture du Pérou), de retour à Lima, un projet consistant à ériger les mausolées du lac des Condors en "zone archéologique protégée", où les momies seraient soigneusement maintenues en lieu et place.
Quelque temps après, une archéologue native de la région, soutenue par des intérêts locaux, fait enlever la quasi-totalité des momies du site : elles sont emballées dans des sacs de ciment ou de farine et redescendues à dos de cheval et de mule avant d'être entreposées un temps dans une maison particulière de Leimebamba. Les protagonistes financent l'expédition en vendant les droits d'un film réalisé lors de cette opération à la chaîne "Discovery Channel" ...
Les momies du lac des Condors sont aujourd’hui rassemblées dans un fort beau musée réalisé sur le mode équitable par des artisans locaux en utilisant des matériaux de la région. Avec les visites et les circuits organisés autour, Il fait vivre une partie des habitants de cette région déshérité du Rio Uctubamba. On est passé ici d’une conception académique à une dimension sociale de l’archéologie, immédiatement dirigée vers une exploitation touristique heureusement maîtrisée.
Au début 2002, une autre découverte fit pendant plusieurs jours la une des tabloïds et des journaux télévisés péruviens : à la sortie Est de Lima, dans le bidonville de Tupac Amaru et sur des terres attenantes au site déjà bien connu de Puruchuco, fut mise à jour une vaste nécropole souterraine, d'une importance comparable à celles d'Ancon et de Nazca, livrant plus de 120 momies enveloppées dans leur "fardo" funéraire, contemporaines de l'époque inca (15e s.). La sensation venait surtout du fait que les fouilles se faisaient à ciel ouvert au beau milieu d’une cour d’école. En mai de la même année, la revue National Geographic publia un article illustré de photos où l’on voyait les enfants, à l’heure de la récréation, déambuler autour d’une grande fosse où des momies étaient encore tassées les unes contre les autres. Grâce à (ou à cause de) cet épisode, l’archéologie achevait d’entrer définitivement dans le quotidien de tout un peuple qui assistait à l’exhumation médiatiquement organisée de son propre passé.
Pour les découvertes récentes, voir les pages :
La Très riche tombe du Seigneur de Sipan
Les momies péruviennes
Caral : la plus ancienne ville d'Amérique ?
©Daniel DUGUAY / dduguay@club-internet.fr