la civilisation MOCHICA


Les potiers Mochica se sont représentés eux-mêmes... (Photo GEO)

De 200 jusqu'en 600 de notre ère - leur apogée se situant vers le 3e s. après J.-C. - les Mochica constituent l'une des premières et des plus remarquables organisation sociale, politique, militaire et religieuse de l'ancien Pérou. Ils dominent les quelques 700 km de la côte Nord du Pérou entre Piura et la vallée du Rio Casma, étendant même leur influence plus au Sud.
On retrouve sur toute cette portion de la côte des fragments d'une poterie ornée de peintures polychromes ou bien sculptée, d'un style inimitable, qui a produit les plus admirables chefs-d'oeuvre de toute la céramique précolombienne.
C'est cette céramique figurative et trés réaliste - voire même "naturaliste", abondamment représentée dans les musées et très prisée par les collectionneurs, qui a fait la gloire et le renom de la civilisation Mochica, à tel point que l'on en oublie parfois d'étudier son organisation sociale et ses autres réalisations techniques également remarquables.

Origines
L'histoire des Mochica est à mal connue : on pense qu'ils appartenaient à un groupe ethnique différent des peuplades qui occupaient, il y a plus de 2000 ans, les basses Andes centrales; leur langage, assez voisin du Manabi, sur la côte de l'Equateur, indiquerait une origine lointaine; une tradition orale veut que les Mochica soient venus en radeaux "du Nord", c'est-à-dire de l'actuelle Colombie, qui sait même de l'Amérique Centrale. Le fameux archéologue Max Uhle leur voyait une origine antérieure à la culture de Tiahuanaco-Wari et leur allouait une période de durée -généralement admise aujourd'hui- allant de 200 à 700 après J.-C.

Ils succédèrent à des sociétés locales encore influencées par la culture de Chavín, comme celle de Vicús, de Salinar, et coexistèrent de façon belliqueuse avec la société des Gallinazo de la vallée du Rio Virú, qui les influença également et sur laquelle ils finirent par l'emporter. Après quoi, ils rayonnèrent sur tout la côte Nord du Pérou, avant de décliner à partir de la fin du 7e s., probablement à cause d'un violent épisode climatique du type "Niño", survenu peu avant l'an 600. Après plusieurs épisodes culturels successifs parmi lesquels l'irruption de la culture de Tiahuanaco-Wari, surgie de la Cordillière centrale, puis l'épanouissement de la culture régionale Lambayeque ou Sicán (entre 700 et 1100), la défunte culture Mochica fut sans doute à l 'origine de la civilisation et de l'empire Chimú qui lui succéda sur les mêmes territoires.

Céramique
On doit la découverte et la vulgarisation de la céramique Mochica à Rafael Larco Hoyle (1901-1966) qui lui consacra une grande partie de sa vie et fonda le musée Larco Herrera de Lima en 1958. La céramique Mochica est largement reconnaissable pour ses vases-portraits d'hommes ou de femmes, certains magnifiquement réussis, réalisés en modelant la glaise encore molle. Tous ces vases constituent une étonnante galerie sociale où l'on reconnaît des guerriers (avec leur tunique, leur coiffe, leurs armes), mais aussi des personnages issus de groupes sociaux fort différents : des chefs ou caciques, des vieillards, d'humbles agriculteurs ou bien des artisans à la physionomie très expressive (parfois hilares), des malades soit édentés, soit goîtreux, bossus, difformes, aveugles ou encore affligés d'un bec-de-lièvre, des prisonniers ligotés au nez ou aux oreilles tranchées, etc. Certaines de ces compositions représentent de très beaux visages au regard profond, empreints d'une noblesse et d'une autorité dont on devine l'origine soit aristocratique, soit religieuse.


Exemples de céramique Mochica (Museo Larco Herrera, Lima)

A côté de ces portraits, figurent des scènes plus prosaïques - mettant en scène des couples - qui tendraient à prouver que les Mochica ne s'embarassaient guère d'inhibitions sexuelles : tous les actes de l'amour (et même ceux que la morale réprouve) y sont représentés dans les postures les plus variées. Les mêmes scènes d'accouplement sont reproduites, dans un style souvent plus stylisé, dans le très riche bestiaire des Mochica.
Un second style de céramique Mochica - assez distinct du précédent - correspond à des vases ou flacons à deux corps peints en noir sur fond crème, représentant des scènes mythologiques : des démons ou des chefs de guerre aux visages zoomorphes ou démoniaques s'affrontent en combats singuliers, puis victorieux,conduisent des prisonniers dévêtus et enchaînés. Cette cohabitation entre deux sources d'inspiration : le réalisme tiré de la vie quotidienne et le légendaire, ne semble pas que stylistique : les Mochicas furent peut-être parmi les premiers à séparer mentalement - d'après les oeuvres qu'ils nous ont laissé- le présent du passé et le légendaire (ou le religieux) du vécu, preuve pour l'époque d'une étonnante liberté, sans doute dûe à des progrès économiques et sociaux jusqu'alors inédits.

Architecture et grands travaux
Elaborée et bien disciplinée, l'administration Mochica employa des milliers d'hommes à construire de gigantesques huacas, des pyramides à cinq degrés, dans le genre de celle de Saqqarah en Egypte. Les plus imposantes sont celles de Moche (au Sud de l'actuelle Trujillo). On leur doit aussi le premier réseau de routes pré-incaïques, pistes rectilignes tracées dans le sable du désert côtier, bordées de murets et de haies d'épineux pour éviter que les voyageurs ne s'égarent; ces voies atteignaient parfois une largeur de 10 m à l'entrée des centres peuplés.

Les Mochica réalisèrent aussi de grands travaux hydrauliques : tout un réseau d'acqueducs estimé à 150 km de long, pour récupérer l'eau descontreforts andins et irriguer les plantations. L'un d'eux existe encore dans la vallée du Rio Chicama : c'est le canal de la Cumbre, atteignant parfois 15 m de hauteur sur un kilomètre et demi de longueur.


Les pyramides de MOCHE
A quelques km au Sud de Trujillo, et en dépassant le village de Moche, une piste, à gauche, mène à deux pyramides, comptant parmi les plus grandioses vestiges de la civilisation Mochica.


A g. la Huaca del Sol - A dr. effigie du dieu Aiapaec dans la Huaca de La Luna (photos D. Duguay)

La première est la Huaca del Sol, la plus grande pyramide connue du Pérou. Datant de l'époque Mochica, ce monument colossal, aujourd'hui assez raviné, fut construit en adobes sur une base rectangulaire de 228 m de long sur 136 m de large, avec cinq terrasses superposées jusqu'à une hauteur de 18 m. Au dessus de cette plateforme, s'élève une pyramide à étages de 23 m de haut, ce qui porte la hauteur totale de cette construction à plus de 40 m. L'ensemble était revêtu d'un enduit argileux peint, dont il ne reste peu de traces. On estime que près de deux cent mille travailleurs y entassèrent à peu près cent trente million de briquettes d'adobe.
En face, la Huaca de la Luna est constituée de six terrasses supeposées, d'une hauteur totale de 21 m sur une base de 80 m sur 60 m; elle fut aussi élevée en adobes recouverts d'un enduit argileux peint. En cours de restauration depuis plusieurs années, elle est aujourd'hui visitable et a révélé de magnifiques reliefs polychromes, principalement à l'effigie du dieu Aiapaec.

Autres sites aux environs de Trujillo :

Huaca El Dragón
A 3 km au nord de Trujillo, au bord de la route Panaméricaine, près d'un petit musée, s'élève ce temple pyramidal en adobes, aujourd'hui restauré, qui était peut-être consacré à l'arc-en-ciel. Le parement extérieur de son enceinte conserve des restes de frises couvertes de bas-reliefs représentant des guerriers superposés ou des serpents bicéphales. Certains estiment qu'elle fut construite à l'apogée du royaume Chimú (entre 1100 et 1450), d'autres qu'elle est antérieure et remonte à la culture Sicán (entre 700 et 1100).
Le temple comprend une double plateforme dominant trois séries de cellules à ciel ouvert, qui devaient jadis être couvertes. La plateforme est accessible par une large rampe coudée et dallée.

El Brujo et la "Señora de Cao"
A 60 kms au nord deTrujillo, sur la rive droite du Rio Chicama et tout proche du littoral, ce vaste complexe archéologique, dont l'élément le plus ancien (qui remonte en fait à l'époque précéramique) est la Huaca Prieta, déjà connue par les travaux de Junius Bird, est en cours de fouilles depuis 1990. Celles-ci concernent notamment les pyramides de Cao Viejo et la Huaca Cortada, également dénommée El Brujo. Le site connut son apogée pendant les période Mochica, puis Sicán ou Lambayeque, jusqu'en 750 de notre ère. Ces fouilles ont permis de mettre à jour des bas-reliefs polychromés, parmi lesquels une représentation du dieu Aiapaec et des scènes de guerriers captifs, dont la fameuse frise en relief dite des "prisonniers" ornant la façade de la pyramide de Cao Viejo.


Cao Viejo : frise des "prisonniers" (photo Lizardo Tavera)

La pyramide de Cao Viejo quant à elle, a fait la une de l'actualité en avril 2006 lors de la découverte par les archéologues de la fondation Wiese de la momie de la Señora de Cao : la tombe d'une princesse (ou reine) guerrière inhumée vers 250 après J.-C., soit en pleine période Mochica, antérieure de 200 ans à la tombe du Seigneur de Sipán. Exceptionnellement bien conservée, elle était entourée de tous les attributs du pouvoir royal (pectoraux, colliers et bijoux d'or, d'argent, de turquoise...) et chose plus étonnante, d'armes de guerre : masses d'armes et propulseurs de javelots. On estime qu'elle avait une trentaine d'années au moment de son décès. Ses mains portent des traces de tatouages représentant des dessins de serpents et d'araignées. On n'avait jamais découvert jusqu'à présent de tombe semblable, où une femme aurait tenu un rôle prépondérant dans une société aussi ancienne. La découverte de la Señora de Cao a remis en question bon nombre d'idées reçues et le machisme péruvien (qui existe aussi en archéologie) en a pris un sacré coup.
Le site(en espagnol) le plus complet et le mieux illustré sur le site de El brujo :
www.antropologia.com.ar/peru/elbrujo.htm

Pañamarca
A 150 km au sud de Trujillo, dans la basse vallée du Rio Nepeña, se dresse cette grande pyramide à degrés édifiée en blocs d’adobe par la culture Mochica, dont elle fut l’un des sanctuaires les plus méridionaux. Sa forme et son plan évoquent d’ailleurs les pyramides du Soleil et de la Lune, près de Trujillo. En 1958 on y découvrit d'extraordinaires fresques murales réalisées dans les tons ocre et rouge, représentant des cérémonies guerrières et religieuses, source iconographique précieuse pour l'étude de la culture Mochica. Elles furent hélas très endommagées par le séisme de 1970.


La pyramide de Pañamarca et la frise partiellement détruite en 1970.

voir aussi les pages

La très riche tombe du Seigneur de Sipán

La culture Lambayeque, ou Sicán

La fastueuse cité de Chan Chan

La splendeur du royaume Chimú


Sur les civilisation Mochica et Chimú ainsi que l'archéologie du Nord du Pérou, l'un des meilleurs sites à consulter (en anglais et espagnol) est celui du"Proyecto Ai Apaec": www.unitru.edu.pe/cultural/arq/

Plus particulièrement consacré aux pyramides de Moche et à l'aspect religieux de la culture Mochica, voir les pages (en espagnol) rédigées par l'Université de Trujillo (Pérou) sur le site du Proyecto Huaca de La Luna :
www.unitru.edu.pe/cultural/arq/huacas/

Un autre site intéressant (en espagnol)
www.peru.com/preincas/costa/mochica/principal.htm


Sommaire / Introduction / Archéologie / Pages du Dictionnaire A, B, C... / Bibliographie

©Daniel DUGUAY / dduguay@club-internet.fr


du même auteur, si vous voulez visiter le Pérou...