la fastueuse cité de

CHAN CHAN

Situés à 5 km au nord de l'actuelle ville de Trujillo, sur la côte Nord du Pérou, les vestiges de l'ancienne capitale du royaume Chimú entièrement construite en torchis (ou adobe), forment l'un des plus importants sites archéologiques de l'Amérique précolombienne.

Sur un site d’abord occupé par les Mochica, puis par un groupe d’influence Tiahuanaco-Huari, la cité de Chan Chan s’étend en bordure de l’océan, entre les ríos Moche et Chicama. Elle occupe une partie de la plaine côtière, jadis irriguée par des canaux reliant les deux fleuves. D’après les chroniqueurs, ce sont ces mêmes canaux que les Incas obstruèrent où détournèrent, lors de leur guerre de conquête au 15e s. en vue d’obtenir la capitulation du royaume chimú. Cinq siècles plus tard, l’antique capitale n’existait plus qu’à l’état de monticules informes, lorsqu’en 1967 le gouvernement péruvien détermina une zone archéologique de 14 km2. En 1986, Chan Chan fut décrétée Patrimoine culturel de l’humanité par l’Unesco. Les mesures de protection prises à partir de cette date permirent notamment de limiter les dégâts occasionnés par le phénomène du Niño en 1998.

Entièrement construite en torchis (ou adobe), la capitale se compose d’une dizaine de vastes quartiers, ou citadelles, enfermés chacun dans une haute enceinte de terre battue, formant de grands quadrilatères de 400 à 500 m de long sur 200 à 300 m de large. En tenant compte de ses secteurs périphériques, la superficie totale de Chan Chan devait atteindre environ 25 km2 à l’époque de son apogée (12e-13e s.).

Les divers quartiers ou «citadelles» de Chan Chan, construits sur un plan orthogonal, regroupent une série de bâtiments tels que : place de cérémonie enclose d’un haut mur avec des rampes en plans inclinés, plateformes funéraires, palais du souverain, habitations de la cour et de l’administration, casernements, magasins et silos, ainsi qu’un vaste réservoir d’eau potable alimenté par la nappe phréatique. C’est ce plan classique que l’on retrouve dans le Palais Tschudi, seule structure de Chan Chan à avoir été complètement restaurée et ouverte à la visite. Près de l’entrée, se tient le petit musée du site.


Chan Chan : murs intérieurs du secteur du "Palais Tschudi" 

La plupart des spécialistes supposent que chaque quartier de Chan Chan a été fondé par un souverain différent. Le roi édifiait ainsi pendant son règne un palais nouveau, un centre administratif et une plate-forme funéraire qui serait sa sépulture, celle de ses proches ainsi que le lieu du culte qui lui serait rendu post mortem . Wendell C. Bennett pensait quant à lui que les différentes "citadelles" appartenaient à des groupes sociaux différents, ou à des clans.
Dans cette structure funéraire, formant un terre-plein, sont ménagées des chambres à ciel ouvert, où non seulement était déposée la dépouille du souverain avec ses richesses en or, en tissus et en céramiques, ainsi que des dizaines de victimes sacrificielles allant du simple serviteur jusqu'aux parents proches, tradition héritée des Mochica, comme l'a démontré la découverte de la tombe du seigneur de Sipán. Mais le nombre du contingent livré au cérémonial funèbre ne s'arrêtait pas là : on estime que les funérailles d'un souverain Chimú devait s'accompagner de 200 à 300 sacrifices humains, et l' on n'est pas sûr qu'ils étaient tous volontaires...

Les dix quartiers de Chan Chan ont reçu des noms parmi lesquels figurent ceux de savants et d’archéologues. Les travaux de l’équipe américaine dirigée par Michael E. Moseley en 1982 ont permis d’établir une chronologie de ces dix formations s’échelonnant entre la fin du 12e s. et 1460 environ. Cette succession est la suivante : Chayhuac, Uhle, Tello, Labyrinthe, Gran Chimú, Squier, Velarde, Bandelier, Tschudi et Rivero. On peut assigner en moyenne 20 à 30 ans de règne à chaque souverain. Il faut imaginer le formidable chantier que constituait, à chaque génération, la création d’un nouveau centre de pouvoir, alors que les grands évènements de la vie et de la mort se perpétuaient en même temps dans les plus anciens quartiers de la capitale...


Chan Chan : frises de pélicans et de poissons (photos D. Duguay)

Chan Chan ne cessa de se développer et de s’agrandir pendant près de trois siècles. Son style décoratif allie des motifs récurrents d’oiseaux, de poissons et d’animaux mythiques, composant de longues frises sculptées sur les parois de chaque palais. Les couloirs de circulation à angle droit, courant entre de hauts murs, ne sont pas sans faire penser à un gigantesque labyrinthe et le système répétitif des constructions et du décor confèrent à la cité un effet de masse et de puissance qui répondait à l’organisation sociale et politique du royaume, hiérarchisé et cloisonné de la même manière. Chan Chan constituait sans nul doute un ensemble impressionnant et certainement unique sur le continent américain vers l’an 1400. Au même moment, la capitale des Incas, Cuzco, devait sembler bien rustique en comparaison.

Au fil des recherches, les archéologues ont revu à la baisse le nombre d’habitants que la cité a pu contenir : Ernst W. Middendorf, en 1894, les estimait à 100 000, on parle aujourd’hui de 20 000 à 30 000 âmes.

Un site menacé
L’aménagement de la route menant vers Huanchaco et l’aéroport (tracée au beau milieu du site), le développement urbain des quartiers périphériques de Trujillo, le travail de sape des pilleurs de tombes (anciens et modernes) et enfin l’érosion éolienne, ont plongé Chan Chan dans un état de dégradation avancée. Si à l’époque de sa splendeur les structures de cette cité construite en blocs d’adobe étaient protégées des pluies, du vent, de l’air salin (nous sommes en bord de mer) par des toits en bois, tous ceux-ci ont disparu dès le 17e s., laissant vulnérables les murs et les structures architecturales de Chan Chan.
Des relevés géographiques précis furent menés en 1969 par une mission de l’université de Harvard, mais la vulnérabilité même du site fait que certaines structures référencées ont aujourd’hui quasiment disparu. Si l’Unesco a classé ce site en 1986 sur la liste du patrimoine mondial, il est aujourd’hui également sur la liste des sites en danger car sa conservation soulève de nombreux problèmes et suscite des débéts cornéliens : il s’agit aujourd’hui de savoir si les fouilles doivent être systématiquement menées, mettant en péril la sauvegarde de l’architecture d’adobe, pour récupérer avant les pillards des biens archéologiques précieux. Entre 1964 et 1969, la restauration massive du Palais Tshudi, très contreversée, a permis de « sauver » une zone importante du site mais a compromis l’intégrité de l’ensemble en le soumettant aux exigences d’un tourisme grandissant. Dernièrement, la tendance semblerait être à la conservation et non à la restauration, mais comment conserver 20 kilomètres carrés d’architecture d’adobe dont l’érosion est inéluctable ?


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©Daniel DUGUAY / dduguay@club-internet.fr


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