La splendeur du royaume CHIMÚ

Héritiers du pays et des traditions Mochica, les Chimú constituèrent sur les mêmes déserts de la côte nord du Pérou, vers l'an 1000 de notre ère, un royaume tardif qui allait devenir très vite puissant et connaîtrait son apogée vers le 13e s., peu avant d'être conquis par les Incas.
Après avoir subi la domination (ou l'influence) de la haute culture dite de
Tiahuanaco-Huari, puis l'épanouissement de la culture régionale Lambayeque ou Sicán (entre 700 et 1100), la côte péruvienne connaît alors, avec le "Royaume de Chimor" ou "Gran Chimú", un âge d'or fastueux qui rayonne à partir de sa capitale, Chan Chan, une immense ville construite en pisé et aggrandie par ses souverains successifs.

Le mythe de Naymlap
L'existence de Naymlap, fondateur légendaire de la longue dynastie des souverains de la vallée de Lambayeque - à laquelle appartiendrait le fameux Seigneur de Sipán - fut d'abord consignée par le chroniqueur Cabello de Balboa au 16e s., puis étudiée par Enrique Brüning (1922-1923) et Federico Kauffmann Doig (1964).
Suivant le récit légendaire, Naymlap serait apparu sur les rivages des côtes de Lambayeque, voguant sur une embarcation de roseaux tressés, accompagné d'une suite de 40 nobles et de nombreuses femmes et serviteurs. Il venait certainement du Pacifique, ce qui autorisa plus tard certains historiens à échafauder la théorie d'une migration océanienne vers le Pérou - théorie que tenta de démontrer Thor Heyerdal avec son fameux Kon-Tiki.
Naymlap s'empara des villages voisins et devint bientôt roi de la vallée de Lambayeque, établissant sa capitale, selon la tradition, sur le site de l'actuelle Huaca Chotuna, tout près de la côte. Cet évènement serait survenu bien avant la phase dite de l'empire Chimú. Il est même possible qu'il soit bien antérieur, car l'on retrouve parfois la figure d'un personnage assis sur une balsa (radeau) dans la céramique Mochica.
Dans l'expression artistique de la culture de Lambayeque, ou Sicán, Naymlap apparait souvent sous la forme du fameux tumi, ou couteau sacrificiel, travaillé en or. Néammoins, le mythe atteint toute sa vigueur à l'apogée de la période Chimú, se substituant à la figure du dieu Aiapaec, l'ancienne divinité de la culture Mochica.



En haut : Effigie de Naymlap (Lima, Museo de Oro) - En bas : la Huaca Chotuna, près de Chiclayo

L'Apogée
Le royaume Chimú se caractérise par son système centralisé et sa formidable organisation qui n'avait rien à envier à celle des Incas. Il donne naissance à un essor urbain grâce auquel les besoins et le niveau de vie ne cessent de croître. Un système administratif puissant et une technique de production de masse, tant dans l'agriculture que dans la céramique et les tissus, sont servis par un réseau routier jalonné de relais où les marchands touvent des gîtes d'étape. Un corps de coureurs de poste, les chasquis, système que les Incas reprendront à leur compte, est affecté à la transmission rapide des informations.
L'expansion urbaine fait de la cité la plaque tournante des échanges et le lieu de rencontres entre les différentes classes sociales. C'est également le siège du pouvoir et le souverain s'y établit en d'immenses quartiers palatins. Chan Chan fut, vraisemblablement alors, la plus vaste capitale de l'Amérique andine. La cour est d'une opulence extrême. L'architecture donne une importance primordiale aux palais, par opposition aux constructions de l'époque Mochica qui étaient surtout de caractère religieux.

Agriculture et irrigation
Les Chimú furent avant tout de grands spécialistes de l'agriculture "intensive" en plaine côtière : fort doués pour l'ingéniérie hydraulique et les travaux d'irrigation, ils réalisérent des réseaux de canaux qui permettaient de relier plusieurs vallées côtières entre elles, comme celles du rio Chicama et du rio Moche près de Trujillo, des rios La Leche, Lambayeque, Reque, Zaña et Jequtepeque près de Chiclayo. Ils creusaient des puquios, ou acqueducs souterrains, pour aller chercher l'eau de la nappe phréatique, et construisirent aussi bon nombre de petits lacs de retenue. Leur réalisation la plus fameuse dans ce domaine est le Canal de la Cumbre, remontant à l'époque Mochica mais qui fut ensuite prolongé par les Chimú pour dériver l'eau du rio Chicama vers Chan Chan : long de 75 km, il franchissait un petit col à 180 m d'altitude et ses rives avaient été totalement empierrées, pour éviter l'érosion. Certains de ses tronçons sont encore en usage aujourd'hui.

Céramique
Les Chimú ont évidemment hérité de la longue et riche tradition potière des Mochica. Le style est caractérisé par sa couleur, à prédominance noire, bien que le rouge joue également un rôle important. La plupart des vases sont moulés, non seulement pour la forme, mais aussi pour les dessins. Bon nombre d'entre eux comprennent deux parties, reliées par une anse. Cependant, ils ne parvinrent pas à égaler, dans cet art, l'habileté et la finesse de leurs prédecesseurs Mochica.

Orfèvrerie et métallurgie
Aucun peuple de l'Ancien Pérou n'a produit autant d'objets d'or que les Chimú, et n'a su travailler ce métal avec autant de raffinement. Ils passèrent maîtres dans l'art de façonner les métaux, et dans les diverses techniques qui en découlent : soudures, placage, alliages, incrustation de pierres précieuses...
Hormis les tumis, ou couteaux sacrificiels, on trouve de nombreux vases cérémoniels, des plaques pectorales, d'innombrables variétés de bracelets, colliers et pendentifs. De très nombreuses pièces sont aujourd'hui conservées dans les musées du Pérou, dont le Museo de Oro de Lima mais aussi dans le récent et magnifique Museo de las Tumbas Reales de Sipán, à Lambayeque.

Chute et domination Inca
C'est à la charnière des règnes de Pachacutec et de son fils Tupac Yupanqui, vers le milieu du 15e s., que les Incas attaquèrent le royaume Chimú. Pour ce faire, les incas sollicitèrent et reçurent l'appui des sujets du royaume de Cuismancu, c'est-à-dire les Cajamarcas, lesquels étaient traditionnellement ennemis de leurs puissants voisins du Nord. Si les Chimú possédaient des troupes nombreuses et d'imposantes lignes de défense, comme la forteresse de Paramonga, ou encore la fameuse "muraille du Santa", ils semblaient avoir perdu les qualités guerrières de leurs ancêtres. Vers 1457, les Incas mirent le siège devant Chan Chan et coupèrent les canaux qui alimentaient la ville en eau. L'Inca Tupac Yupanqui, magnanime, traita généreusement le roi vaincu et en fit son nouveau vassal : il le maintint au pouvoir et fit instruire ses fils à Cuzco, conformément aux principes de la politique d'assimilation qu'il menait dans tout l'empire.


Extension du royaume Chimú,
peu avant la conquête inca (1450)
.


La nécropole sacrificielle de Huanchaquito
Jusqu'en octobre 2011, le nom de Huanchaquito n'évoquait qu'une petite station balnéaire satellite de Huanchaco, située au bord de la déviation de la route Panaméricaine qui contourne Trujillo et le site de Chan Chan en longeant la côte. C'est alors qu'alerté par des villageois qui venaient de découvrir fortuitement un tas d'ossements humains, l'archéologue Gabriel Prieto Burmester, de l'université de Yale, fit une très importante découverte. Après un mois d'excavations, il dégagea près de 42 corps humains et 74 camélidés datés de la culture Chimú (1100-1440 apr. J.-C.) ensevelis sous un monticule sableux proche de la station, qui s'avère être le plus important cimetière et site sacrificiel chimú fouillé à ce jour. Comme toujours sur la côte nord du Pérou, les vestiges se trouvaient dans un excellent état de conservation grâce à l'aridité du climat. Les textiles qui enveloppaient les morts avaient été préservés, ainsi que la peau et le pelage des lamas sacrifiés.
Les corps découverts à Huanchaquito sont uniquement ceux d’enfants et de jeunes adolescents. Des traces de découpe ont été relevées sur le sternum de certains individus, indiquant peut-être l’extraction du cœur des sacrifiés. À cela s’ajoute la position des côtes montrant que la cage thoracique a été volontairement ouverte, pratique qui n’avait pas encore été reportée dans cette région. Les morts étaient inhumés avec de jeunes camélidés, en particulier des lamas aux pattes liées par des cordages, en guise d'offrande et d'accompagnement des enfants. La préservation de la peau et des poils des animaux a permis d’observer la gamme de couleurs du pelage des camélidés sacrifiés (beige, marron et marron foncé). La présence de cet animal, qui n'est pas originaire de la côte péruvienne et le mode opératoire des sacrifices pourraient aussi laisser entendre que ce site sacrificiel fut surtout utilisé par les Incas, juste après leur conquête du royaume Chimú, vers 1450.

(sources : IFEA Andes, octobre 2011)


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©Daniel DUGUAY / dduguay@club-internet.fr


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