La Conquête espagnole

Comment une poignée de soldats espagnols dépenaillés parvint-elle à soumettre la plus puissante des dynasties d'Amérique du Sud et ses six millions de sujets ? Sans doute parce que l'Empire inca était déjà sur son déclin. Lorsque Francisco Pizarro arriva au Pérou en 1532, le pays se remettait à peine d'une terrible guerre civile.
Quarante ans auparavant, Huayna Capac régnait sur l'empire Inca depuis deux métropoles : Cuzco. la cité impériale et Quito, la métropole du Nord. Huayna Capac avait établi Huascar, son fils légitime, à Cuzco et Atahualpa, son fils bâtard, à Quito. A sa mort ses deux fils revendiquèrent le droit au trône et l'empire Inca connut son premier conflit interne. Lorsque en 1532. Pizarro revint pour la troisième fois au Pérou, Atahualpa avait vaincu les armées de son demi-frère et campait à Cajamarca, prêt à s'emparer de Cuzco.
Les Espagnols surent très vite profiter de la confusion engendrée par cinq ans de luttes fratricides et tirer parti des légendes indiennes qui prédisaient l'arrivée de grands dieux blancs envoyés par le Soleil.


"Cruautés des Espagnols" - Gravure de De Bry (17e s.) - Le disque d'or du Temple du Soleil est joué aux dés entre les soldats espagnols (gravure du 19e s.)

Les armes des Espagnols, leurs bateaux, leurs chevaux, inconnus des Indiens, ne firent qu'accréditer leur nature divine. Quand Pizarro invita Atahualpa à le rencontrer sur la place de Cajamarca, ce dernier accepta sans méfiance. Le rendez-vous était en fait un piège. Pizarro et ses hommes, qui s'étaient embusqués en attendant l'arrivée de l'Inca et de son escorte, les accueillirent à coups de canon et par une charge de cavalerie. Des milliers d'Indiens qui tentaient de s'enfuir furent massacrés sans merci et Atahualpa fut lui-même capturé.

Les conquistadores demandèrent une rançon considérable en échange de la vie de l'Inca : le volume d'une chambre remplie d'or et son double en argent. Les Indiens parcoururent l'empire à la recherche de ces métaux qui n'avaient pour eux qu'une valeur rituelle. Mais lorsque ses exigences furent satisfaites, Atahualpa fut finalement exécuté au terme d'une parodie de procès. Certains chroniqueurs affirment que la mort de l'Inca fut tramée par un interprète indien issu d'une ethnie hostile aux incas, qui, pour venger les siens, traduisit de façon volontairement erronée certaines informations. D'autres que Pizarro craignait que les généraux d'Atahualpa, parmi lesquels les terribles Quizquiz, Ruminahui et l'habile Chalcuchimac n'orchestrent une révolte pour délivrer leur souverain.

A la mort d'Atahualpa, l'empire inca s'effondra. Les Espagnols marchèrent sur Cuzco dont ils s'emparèrent le 15 Novembre 1533, mettant la ville à sac, arrachant les lourdes plaques d'or qui ornaient le temple du Soleil et profanant les momies des anciens Incas. Ensuite, ils pillèrent systématiquement l'empire, détruisant temples et oeuvres d'art. Cherchant une capitale moins exposée et un port qui leur permettrait à la fois d'expédier les richesses du Pérou vers l'Espagne et d'en recevoir des approvisionnements ou du renfort, Pizarro fonda Lima en 1535. Cette nouvelle cité allait bientôt devenir le centre rayonnant de l'Amérique espagnole. La grande révolte menée par Manco Inca (un autre fils de Huayna Capac) en 1536 n'y changea rien : il mit le siège devant Cuzco, mais ne parvint pas à en chasser les Espagnols. Au contraire, ceux-ci le forcèrent a trouver refuge dans l'inaccessible cordillière de Vilcabamba. Après de longues années de guérrilla, le dernier Inca, Tupac Amaru y fut finalement capturé, avant d'être exécuté en 1572.

Les Indiens, répartis entre les conquistatores par le féroce système colonial de l'encomienda, furent réduits en esclavage et au travail forcé dans les haciendas et dans les mines, la plus fameuse - et la plus meurtrière - étant celle de Potosi, en Bolivie. Le système d'agriculture collective, qui constituait la base de la société inca, se disloqua, de même que les très anciens aqueducs et autres infrastructures d'irrigation. Les conséquences de ces évènements se répercutèrent sur la population indigène du Pérou, et se traduisirent, entre les 16e et 18e siècles, par une chute démographique terrible que l'historien péruvien Emilio Choy a estimé et résumé dans le tableau suivant :

1525

10 000 000 hab.

1553
(après la première phase
de la Conquête)

8 200 000 hab.

1575
(gouvernement du vice-roi
Francisco de Toledo)

8 000 000 hab.

1586

1 800 000 hab.

1754

615 000 hab.

La terrible chute de population, enregistrée à partir de 1575, correspond à la pacification définitive du Pérou et à la généralisation du travail forcé dans les encomiendas et les mines, où près de 5 millions d'indiens furent engloutis en moins d'un quart de siècle ! Ce génocide colonial organisé, l'un des plus grands de l'Histoire - contre lequel tentèrent de s'élever les oeuvres humanistes du frère Bartolomé de Las Casas et du père José de Acosta - contribua à forger ce que l'on appelle la "Légende noire de l'Espagne" en Amérique latine. La région la plus touchée fut la côte, qui, encore actuellement, compte une population indigène réduite.
Mais un débat subsiste encore sur l'importance - principale, selon certains, dans l'explication de cette tragédie - des épidémies venues d'Europe au même moment : la variole, apparue au Pérou en 1560 faucha les 4/5 de la population indigène de Lima et Cuzco.

La religion catholique fut imposée aux populations autochtones sous la contrainte (ce fut la phase dite de "l'extirpation de l'idolâtrie") et le Pérou administré avec une poigne de fer par des gouverneurs coloniaux qui s'enrichirent en pillant sans vergogne les ressources du pays au profit de la métropole.

Cependant, la culture et les traditions indiennes devaient survivre jusqu'à nos jours. Dans les villages reculés, un pourcentage encore très important d'Indiens continue à ne parler que le quechua et l'aymara. Si une grande partie des coutumes vestimentaires d'antan se sont perdues, persistent en revanche des cérémonies et des fêtes d"origine inca dont seuls les noms ont changé, afin de composer avec la tradition chrétienne. Sans parler de l'artisanat et des coutumes agricoles, les genres musicaux, tels le huayno ou le yaravi, les carnavals et nombres de danses témoignent encore d'une culture que rien n'a pu détruire.

Chronologie de la Conquête du Pérou de 1526 à 1570


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©Daniel DUGUAY / dduguay@club-internet.fr



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