Danses
La danse. élément d'expression de toute civilisation. n"était pas absente de celle des Incas. Sur le haut plateau. elle révélait l'allégresse, les aspirations. la mystique du paysan andin. Le mot quechua taqui recouvrait l'ensemble des cadences, des mélodies et des mouvements rythmiques qui étaient à la base des danses incaïques.
Les habitants de l'empire inca étaient des danseurs nés, et ceci à tous les niveaux de la hiérarchie sociale. Il nous faut cependant distinguer les exécutions populaires de celles, plus solennelles, de1a noblesse, dont le caractère était essentiellement religieux. Le peuple, lui, mélangeait le rituel au profane, voire à l'orgiaque. Il n'était pas rare qu'entre deux danses effrenées. le paysan absorbât de grandes quantités de chicha, dans le seul but d'entrer en transe.
Danses de l'aristocratie incaîque - Sur la grand place de Cuzco. les membres de la Cour exécutaient le way-yaya . Hommes et femmes se séparaient pour former deux rangs. qui avançaient main dans la main. avec lenteur et dignité. en direction de l'Inca. Pour deux pas en avant. ils en faisaient un en arrière au rythme d'un grand tambour accroché au dos d'un homme et battu par une femme.
La danse du serpent avait à peu près la même chorégraphie. à la différence près que les exécutants portaient un câble de plusieurs couleurs dont l'une des extrémités se terminait par une tête de reptile. Les mouvements rythmés faisaient onduler le "corps" de l'animal sous le regard de l'Inca, impassible, et devant les yeux vides des momies, que l'on sortait du Temple du Soleil pour l'occasion.
Danses populaires -- Les danses populaires retraçaient les actes de la vie quotidienne. les moments de joie et de tristesse, d'espoir et de travail par des gestes proches parfois de la pantomime. La gaîté les dominait toutes. qu'il s"agît de la danse des bergers, ou llamaya , de celle des agriculteurs ou harahuayo, du cachihua ou danse de la joie, ou de celle de la victoire, le haylli arahui. Leur aspect théâtral était accentué par des costumes ornés de grelots. faits parfois de peaux de bêtes, et même par des outijs. dont la valeur symbolique n'échappait à personne.
Parmi ces danses populaires - dont beaucoup existent aujourd"hui encore dans les Andes - certaines étaient moins effrénées. Citons, par exemple, le pas lent des bergers de lamas que les Indiens exécutaient au son doux de la flûte et parmi les bêtes ornées de clochettes et de tissus faits de leur laine.
Les danseurs du pulis-pulis ornaient leurs corps de plumes. ceux du pariane (sorte de héron) se costumaient en oiseau et imploraient à leur manière le dieu des eaux. Le chaco permettait aux couples de former un grand cercle par lequel ils entouraient les musiciens. Les femmes portaient des bâtons tandis que les hommes étaient armés de frondes. Il existait même une danse des pommes de terre. au cours de laquelle les Indiennes agitaient une couverture en faisant le geste d'éparpiller des graines au vent !
L'une des danses les plus connues enfin, la huaillia s^exécutait dans le même esprit. Paysans et paysannes frappaient le sol de petits pas rapides afin de provoquer de leurs talons la fertilité de la terre.
Danses indiennes contemporaines
Parmi les 300 à 400 danses répertoriées aujourd'hui au Pérou et en Bolivie, il n'est pas toujours facile de distinguer celles qui remontent à la période préhispanique de celles qui, adoptées depuis la période coloniale, on subi l'influence espagnole. Les danses guerrières, les danses de métier ou d'occupations champêtres nous sont déjà signalées au 16e siècle, mais les danses mimées à caractère satyrique sont d'origine plus récente, comme certaines danses pantomimes inspirées du vieux théâtre castillan.
Par contre, il n'y a plus d'équivoque pour celles qui ont subi l'influence de la religion catholique, en prenant des formes proche des mystères religieux, des chansons de geste mettant en scène des combats entre maures et chrétiens, ou bien font référence à des évènements survenus au temps de la colonie et prennent un tour parodique, comme la plus fameuse d'entre elles : la Diablada.
Ecole, éducation
La science, ou la connaissance, chez les Incas, n'était pas destinée au peuple si l'on s'en rapporte aux propos tenus par l'Inca Tupac Yupanqui qui déclarait qu'elle ne faisait "que bouffir et rendre vaines et arrogantes les personnes d'un rang inférieur". L'éducation des humbles n'avait pour simple et unique but que de faire d'eux un élément de travail au service du gouvernement et de la collectivité. Il en allait autrement de celle des membres des ayllus impériaux (la descendance de chaque empereur appartenait à un ayllu différent) ou des fils de curacas. Et s'il existait des écoles, elles étaient uniquement destinées à ces derniers.
Les leçons y étaient données par les amautas, dont le nom signifiait "sages", car ils étaient tout aussi à leur aise dans les rôles d'architecte. de juriste ou d'artiste que dans celui de professeur. Les formations variaient selon le rang de l'élève et les fonctions qu*il devrait excercer par la suite. Le cycle se terminait par une sorte d'examen ou huracu, qui tenait à la fois du test et de l'initiation.
C'était vers l'âge de quinze ans qu'on entreprenait les études. qui en duraient quatre. Le premier cycle était essentiellement consacré à l'étude du quechoua. ou langue officielle. le deuxième à celle de la religion, le troisième était réservé à l'étude des kipus, servant aux recensements et aux aux statistiques, et le quatrième permettait celle de l'histoire du royaume. On touchait en outre à la géométrie, la géographie et l'astronomie.
Cet enseignement était de type autoritaire. Les maîtres communiquaient un savoir qui ne devait pas être remis en question. Les châtiments corporels n'étaient cependant pas d'usage, à l'exception de taloches administrées sous la plante des pieds, une seule fois par jour et en cas de nécessité (paresse ou indocilité).
Les exercices physiques jouaient un grand rôle dans la formation et étaient sanctionnés également lors du huaracu.
Longuement préparées, les épreuves de cet examen final étaient suivies avec enthousiasme et anxiété par les familles des concurrents. Elles comprenaient, entre autres. une course de vitesse. un combat livré en groupe. le tir à l'arc et à la fronde et des épreuves techniques : fabrication d'armes et de sandales. S'il n'y avait pas de sanctions, du moins directes, prises contre les concurrents, peu brillants (tout de même exposés à la moquerie du public, par exemple après la course). les candidats admis étaient reçus par Sapa Inca en personne qui leur perçait les oreilles, leur donnant ainsi droit de porter les lourds pendentifs qui étaient le signe distinctif de la classe supérieure : ils devenaient alors des orejones (c'est-à-dire "grandes oreilles") suivant l'expression utilisée plus tard par les Espagnols.
(texte de J. et L. Romé, extrait de "La Vie des incas dans l'Ancien Pérou", Minerva 1981)
Ecriture
Hormis le langage idéogrammatique des "keros" (vases cérémoniels) et des "tocapus"(tuniques décorées de lotifs géométriques), les Incas possédaient peut-être une autre forme d''écriture dont I'existence est évoquée par le père Cristobal de Molina. Dans sa Relacion de las fabulas y ritos de los Incas ; cet ecclésiastique affirme en effet que les événements Iégendaires et les traditions auraient été reproduits en couleur sur des "planches peintes" qui avaient été conservées, jusqu'au moment de la conquête espagnole, dans une maison proche du Temple du Soleil, à Cuzco.
Le chroniqueur Sarmiento de Gamboa confirme les dires du père Cristobal de Molina, et explique que Tupac Yupanqui demanda aux historiographes et aux conservateurs des traditions incaïques de rechercher toutes les informations qu'ils pourraient recueillir sur I'histoire ancienne de ses ancêtres, et de les consigner sous forme d'images ou de "rébus" sur de grands tableaux.
Aucun de ces tableaux ne nous est parvenu, mais le vice-roi Francisco de Toledo signale, dans ses Informations des étoffes peintes qui lui furent montrées et qui représentaient les Incas, leurs épouses et certains de leurs proches parents. Dans les marges, étaient "peintes" des histoires rapportant ce qui s'était passé durant la vie du souverain en question, ainsi que les légendes et tous les autres faits dignes de mémoire.
On ne sait exactement si ces fameuses "planches peintes" furent détruites par les incas eux-mêmes à l'arrivée des Espagnols, ou si ce n'est pas plutôt les frères dominicains qui les firent brûler au plus fort de la lutte contre les idôlatries.
Elitisme
Le régime monarchique et aristocratique des Incas, basé sur une société rigoureusement compartimentée en castes, professait bien évidemment un élitisme hautain dont l'une des expressions figure dans l'un des "Syllogismes" attribués à l'Inca Tupac Yupanqui : "Il n'est pas bien d'enseigner aux enfants des plébéiens les sciences qui appartiennent aux nobles;
il est à craindre, en effet, qu'ils ne s'élèvent et ne s'enorgueillissent et ne ruinent la république. Qu'il leur suffise d'apprendre les métiers de leurs pères. Gouverner et commander n'est pas le fait des plébéiens, et c'est faire offense à cette office et à la république que de les commettre aux gens du commun".
Tupac Inca Yupanqui, qui passe chez les historiens pour une sorte de despote éclairé, professait également un certain scepticisme religieux mais pensait, fort aristocratiquement, qu'il était nécessaire que le peuple ait une religion.
Encomienda
Système mis en place par les Espagnols lors de la Conquête du Pérou, groupant sur un territoire donné plusieurs centaines ou milliers d'indiens au travail forcé, et sans rétribution, de la terre ou des mines (d'or, d'argent) sous les ordres d'un encomendero espagnol (il s'agissait en général de l'un des conquistadors).
Les mineurs, en particulier, furent victimes d'abus et leur situation déplorable, bientôt connue en Europe, devint un objet de blâme de la part des adversaires des Espagnols. Les indiens réagirent en fuyant vers les contrées peu accessibles. Cette fuite devant la mita (ou corvée) disloqua les communautés agraires dans les pays de mines.
Entrepôts et silos
Après les récoltes, les excédents de céréales. de même que les produits correspondant aux terres du Soleil et de l"Inca. étaient transportés à dos d'homme ou de lama jusqu'aux dépôts publics ou pirona et aux silos ou collcas. Ceux-ci s'alignaient dans les villes - à distance respectable les uns des autres pour pouvoir mieux lutter contre le feu en cas d'incendie - ou le long de chemins de campagne, dans des endroits connus pour leur sécheresse. Dépôts et silos étaient placés sous la surveillance de gardes qui servaient également de magasiniers. Ceux-ci contrôlaient et enregistraient en effet les entrees et les sorties des marchandises au moyen de leur quipu.
On entreposait surtout les graines de toutes sortes. le coton. la laine et les réserves alimentaires. dans lesquelles on puisait de quoi nourrir l'armée, les travailleurs enrôlés dans les corvées de travaux publics (la mita ), le clergé et la noblesse. Une part importante des marchandises était cependant exclusivement réservée à compenser les sinistres. qui ne manquaient pas de se produire. Lorsqu'une communauté était victime d'un tremblement de terre. d'une invasion ou de n'importe quelle calamité fortuite, elle recevait le secours de l'Etat. Les excédents amassés venaient alors dédommager les pertes subies.
Pour que les dépôts de tout le pays aient un achalandage équivalent, on transportait les produits de la côte jusque dans les montagnes et vice versa. Les Espagnols découvrirent des réserves qui auraient dû. d'après eux, suffire à nourrir la population pendant une dizaine d'années !
Parmi les ruines de dépôts que nous pouvons visiter encore aujourd'hui, citons celles de Piquillacta, à 25 km de Cuzco, de Tambo Colorado, sur la route de Pisco à Ayacucho, ou encore de Huanucopampa, près de Huánuco, où on en dénombre près de 500 sur le même site. Ces vestiges nous permettent de découvrir de nombreux bâtiments, avec des rues ayant jusqu'à cinq mètres de large. Les enclos réservés aux lamas alternaient avec les silos et les entrepôts.
©Daniel DUGUAY / dduguay@club-internet.fr