les mystères de CHAVÍN

Le village perdu de Chavín de Huantar, niché dans une haute vallée des Andes du Nord-Pérou, fut un grand centre religieux qui a donné son nom à une importante civilisation précolombienne : la culture de Chavín, dont les origines se perdent dans la nuit des temps de la période dite Formative, qui associe au culte du jaguar les représentations du serpent et de l'oiseau de proie, se situe chronologiquement entre les 15e et 5e siècles avant J.-C. Son influence s'étendit sur un vaste territoire, des Andes du Nord jusqu'à la côte centrale du Pacifique.



"Cabezas clavas" retrouvées à Chavín de Huantar

A l'époque des Incas, le sanctuaire de Chavín était déjà en ruines et presque abandonné. Le chemin de l'Inca passait loin de Chavín qui se trouvait dans une région isolée et quasiment inaccessible. L'un des premiers chroniqueurs de la conquâte espagnole, Le chroniqueur Vasquez de Espinoza, qui se rendit sur les lieux en 1616, écrivit : "Tout près du village de Chavín, se trouve un grand bâtiment en pierre taillée, d'une hauteur remarquable. C'était l'un des plus célèbres sanctuaires païens - comme le sont pour nous Rome et Jérusalem - où les indiens venaient offrir leurs sacrifices, car l'esprit du lieu disait l'oracle, et c'est pourquoi ils venaient des quatre coins du royaume..." Les voyageurs du 19e s. parmi lesquels Alexandre de Humboldt (1810), Antonio Raimondi (1850) et surtout celui qui fut le premier "Chavínologue" selon l'expression de Kauffmann Doig, Ernst W. Middendorf (1895) donnèrent des descriptions des ruines. Lorsque le grand archéologue Julio C. Tello commença ses recherches sur le site en 1919, il fut très impressionné par cette civilisation de Chavín dans laquelle il voyait "l'origine de la civilisation andine". Il écrivait alors "qu'aucune autre des civilisations préhistoriques des Andes ne présente des caractéristiques aussi marquées que la civilisation de Chavín..."

Le site archéologique

Les ruines de Chavín sont situées sur la rive gauche du Rio Mosna, un affluent du Marañon, et constituées d'un vaste ensemble de terrasses, de places et de bâtiments pyramidaux dont le plus important est connu sous le nom de El Castillo, également appellé Templo Tardio ("Temple tardif"), en opposition au Temple du Lanzón, bien plus ancien. Les constructions forment un ensemble en U, faisant face au lit du Rio Mosna, dont une forte alluvion, en 1945, a en partie noyé le site en lui causant des dommages irréparables, emportant notamment nombre de pierres sculptées que Julio C. Tello y avait découvert en 1919. Un petit nombre d'entre elles furent retrouvées et dégagées à l'initiative de Jorge C. Muelle, qui dirigea les traveaux de nettoyage de Chavín entre 1955 et 1965.

Au centre du site se trouve une place surbaissée dite Plaza Hundida (Place Enfouie), de 48 m de côté. Alignée dans l'axe de la porte du Templo Tardio, elle est flanquée au Nord et au Sud de deux bâtiments similaires, hélas très dégradés qui devaient servir de tribunes et recevoir le public assistant aux cérémonies de la Plaza Hundida. Ses quatre murs de terrassement sont constitués de grands blocs de pierre polies de pierres polies. Sur l'un de ces blocs est sculpté l'effigie d'une divinité anthropomorphe connue sous le nom de la "Méduse" qui pourraît être une copie tardive de la divinité représentée dans le temple du Lanzón. Dans l'angle Sud-Ouest de la place, se trouve un curieux rocher, dit Choque Chinchay, où sept cupules creusées dans la pierre délimitent vaguement la silhouette du Dieu-jaguar de Chavín et semblent représenter les sept étoiles de la constellation d'Orion (laquelle domine le ciel équatorial pendant la saison des pluies).
L'angle Nord-Ouest, quant à lui, est occupé, dans l'alignement du bâtiment Nord, par un escalier monumental de 16 m de large, dénommé Graderia Middendorf, qui donnait accès à un édifice détaché du reste de l'ensemble, le plus septentrional et nettement le plus tardif de tous.

A l'Ouest de la place, en direction du Castillo, on distingue nettement trois plateformes; la première est accessible par un escalier monumental de 5 marches, large de 6 m; la seconde est desservie par le fameux Escalier des Jaguars, en pierre noire à droite et blanche à gauche, et aux alentours duquel on pourra apprécier plusieurs pierres sculptées.
La troisième (à laquelle on accède par un escalier recouvert d'une voûte, puis par un autre plus petit, à l'angle Sud-Ouest de la pyramide) est dénommé El Zocalo et sert de base à la pyramide elle-même, constuction impressionante de 70 m de côté aux murailles hautes de 10m, dont toute la façade est décorée de dalles, sortes de planches lithiques qui devaient supporter en frise des pierres sculptées d'êtres anthropomorphes et d'animaux dont quelques éléments, découverts dans les ruines, ont été déposés dans les galeries souterraines du temple du Lanzón.

Le centre de cette façade est occupé, dans l'axe de la place et des autres escaliers par un portique monumental, dit La Portada, dont les colonnes et les linteaux étaient décorés de félins; il n'en reste plus que quelques vestiges. Derrière ce portique, deux escaliers latéraux donnent accès au second étage du Castillo à l'intérieur duquel existent plusieurs salles et galeries souterraines, dont la chambre des Poutres décorées (vigas decoradas ) où furent sculptés des animaux aquatiques qui conservent quelques vestiges de polychromie. Vers la partie postérieure de la pyramide, la galerie des Pierres sculptées et la galerie des Captifs sont également souterraines, la dernière communique avec la Galerie des Chauve-souris, sans doute la plus ancienne (vers 1200 avant J.-C.).
Enfin, le Castillo était décoré, sur ses quatre côtés des fameuses Cabezas Clavadas (têtes clouées), figures tout à fait emblématiques du site de Chavín, qui sont des têtes sculptées en ronde bosse, encastrées dans la maçonnerie et dont on a laissé un seul exemplaire en place, les autres étant conservées à l'abri des intempéries dans les galeries du Temple du Lanzón. Beaucoup d'hypothèses ont été émises sur la finalité de ces têtes saillantes et grimaçantes : certains y voient des "gardiens" chargés d'éloigner du temple les mauvais esprits, d'autres les reproductions symboliques des têtes coupées des guerriers ennemis, et les derniers des sortes de potences qui servaient, justement à pendre ou à accrocher les suppliciés.


l'Obélisque Tello


le "Lanzon"

Au Nord du Castillo, et en partie contigue à ce dernier, se trouve la partie la plus étonnante, et certainement la plus mystérieuse de Chavín. C'est le Temple du Lanzón, que les archéologues ont dénommé Templo Temprano (Temple Primitif). Il est précédé d'une autre Plaza Hundida , beaucoup plus restreinte que la première, et de forme circulaire, qui ne fut découverte qu'en 1972 et au fond de laquelle furent mises à jour plusieurs pierres votives sous forme de stèles qui entouraient la dite place, représentant des êtres ailés à tête de jaguar. Au centre de celle-ci se dressait l'Obélisque Tello, aujourd'hui déposée au Musée National d'Anthropologie à Lima. (figure ci-dessus).

Quant au sanctuaire lui-même, en forme de pyramide légèrement inclinée, il est à l'extérieur très dégradé. A l'intérieur (à partir de deux portes s'ouvrant sur la façade) un escalier central mène à un labyrinthe complexe de galeries souterraines où fut découvert le monument le plus singulier du site : un monolithe de 4,60 m de hauteur, dit le Lanzón, encastré dans les dalles du plafond et fiché en terre, comme un poignard. La partie apparente du monolithe figure un personnage effrayant, bras collés au corps, une main retournée dans le dos, avec une tête de félin, où deux crocs recourbés jaillissent de la bouche. Au dessus de la tête, au centre de la haute partie frontale, est creusée une gouttière, laissant supposer qu'une chambre de sacrifices était situé au dessus du monolithe, communiquant avec celui-ci, et que le sang des sacrifices, empruntant cette gouttière, devait arroser la tête de l'idole jusqu'aux rainures de la bouche.
L'apparition, au mileu des ténèbres, de cette divinité cruelle au rictus atroce, laisse une impression pénible, mais un souvenir inoubliable.

la Stèle de RAIMONDI
Conservée au Musée National d'Anthropologie Lima, cette stèle est considérée comme la plus fameuse pièce d'art lithique de la civilisation de Chavín. Elle fut découverte par le voyageur italien Antonio Raimondi en 1855 dans la maison d'un paysan habitant non loin du site et qui l'avait récupéré pour s'en servir de table à manger !
La pierre mesure 1,95 m de haut sur 74 cm de large. Son épaisseur est de 17 cm. La surface entière, absolument plate et polie, est occupée par un personnage à l'apparence humaine, mais doté d'attributs zoomorphes, couronné de multiples masques de félin superposés desquels partent deux rangées de rayons obliques terminés par des têtes de serpents ou des volutes. Il porte dans chaque main deux objets symétriques, en forme de sceptres, à la signification éminemment symbolique : plusieurs chercheurs ont considéré qu'il pouvait s'agir d'une sorte de faisceau de rayons représentant la pluie. Un motif semblable apparait aussi sur la Porte du Soleil de Tiahuanaco.
Il est à noter que ce personnage central est uni dans la partie supérieure à une autre tête, celle-ci inversée. Cette dualité céphalique pourrait être le symbole d'une sorte de "baiser cosmique" que l'on retrouve aussi sur les colonnes monolithiques du temple de Chavín. Si l'on considère que la théocratie qui devait diriger cette culture était essentiellement basée sur le culte de la fertilité, on peut supposer que l'artiste qui sculpta la stèle de Raimondi, sous la direction des prètres, voulut représenter un couple divin qui aurait été à l'origine du monde.

Le Chavín Standford Project
Entre 1995 et 1998, une équipe Américaine de l'Université de Stanford, conduite par John Rick, s'est livrée à un inventaire et un relevé géodésique exhaustifs (25 000 points relevés) du site, y compris du réseau de galeries souterraines. Les données ainsi récoltées et modélisées sur ordinateur ont permis à John Rick de réaliser une visite interactive de Chavín en 3D, disponible sur CD-Rom. Le site web (en anglais) du Chavín Standford Project propose également la visite 3 D du Templo Temprano et du Templo Tardio :
www.stanford.edu/~johnrick/Chavín_wrap/Chavín/index.html


Le site péruvien (en espagnol) de l'archéologue Luis G. Lumbrerasconsacré plus particulièrement à Chavín :

http://Chavín.perucultural.org.pe/


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