De la chronique à l'archéologie :
2) Voyageurs et historiens du 19e siècle

Arasé par la violence de conquête espagnole, disparu, presque effacé de la mémoire pendant la colonisation espagnole, le lointain passé précolombien du Pérou n’avait laissé que quelques traces dans les écrits des chroniqueurs des 16e et 17e s, pour la plupart enfouies sous la poussière des archives du Conseil Général des Indes, à Séville (voir le chapitre consacré aux lettres péruviennes). Les vestiges des temples anciens, déjà saccagés, disparaissaient lentement, enfouis sous les sables de la côte ou mangés par les racines de la forêt…
Cet oubli tenace perdura plusieurs décennies encore après l’indépendance du Pérou, la jeune république étant trop déchirée par ses luttes intestines. La redécouverte du Pérou des Incas et des civilisations qui les avaient précédé fut une longue marche, d’abord initiée par des voyageurs et savants tout au cours du 19e siècle, puis à l’aube du 20e, par les premiers archéologues qui peu à peu explorèrent les sites abandonnés, découvrirent des céramiques, des stèles, des momies, constituèrent des collections qui sont à la base des fonds conservés dans les musées contemporains et parvinrent à distinguer les traits particuliers des diverses cultures qui s’étaient succédé dans l’aire andine. On doit au long et patient travail de l’archéologie tout au long du 20e s. d’avoir su reconstituer les époques et les splendeurs du Pérou ancien, à la façon d’un puzzle dont les pièces manquantes viennent peu à peu s’ajuster les unes à côté des autres…


Le nevado Huascarán (peinture anonyme du 19e s.). Collec. G. Corbic

L'Europe et le monde occidental ne s'intéressèrent d'abord au Pérou que pour sa géographie, suivant ainsi la grande vogue des sciences naturelles initiée au milieu du 18e s. et amplifiée par les récits de l'expédition de Jussieu et La Condamine, envoyés en 1735 par le roi Louis XV mesurer un arc du méridien terrestre en Equateur. A la lecture de leur voyage mouvementé et dans le portrait qu'ils dressent des "Indiens", Rousseau tirera le mythe du "bon sauvage" avec toutes les conséquences idéologiques que l'on sait. Plus tard, en 1802, le célèbre naturaliste et géographe allemand Alexandre de Humboldt accompagné du botaniste Aimé Bonpland, rallie l’Equateur à Lima en passant par les Andes. Dans les îles proches de Callao, il étudie les propriétés du guano et l’associe au courant froid, extrêmement poissonneux qui remonte la côte péruvienne et porte désormais son nom. Ses observations sont purement scientifiques : il ne s'étend guère sur les sites ou des ruines qu'il a pu apercevoir ou dont il a entendu parler.

La première grande somme sur le Pérou ancien est due à deux péruviens : l'ingénieur et diplomate Mariano Eduardo de Rivero et Diego de Tschudi qui firent paraître à Vienne en 1851 une compilation de leurs recherches en deux volumes, Antiguedades Peruanas, abondamment garni de planches illustrées, que l'on considère comme le premier manuel d'archéologie péruvienne.

Des voyageurs français qui visitèrent le Pérou au 19e s., l’histoire a retenu les noms de Léonce Angrand, du naturaliste Alcide d’Orbigny qui publia en 1844 le récit de ses explorations, Voyage dans l'Amérique méridionale et de l’excentrique Eugène de Sartiges qui découvrit en 1834 le site de Choquequirao lors d’une expédition dans la cordillère de Vilcabamba. Il en fait une description détaillée dans son ouvrage Voyage dans les républiques d’Amérique du Sud (1851) où il soutient que Choquequirao aurait été le dernier refuge des Incas de Vilcabamba.
On connaît davantage Charles Wiener, qui fit paraître en 1879 un monumental ouvrage : Pérou et Bolivie qui est un classique des livres de voyages et de géographie sur les Andes au 19e s. Cet explorateur et grand voyageur français fut l'un des premiers à faire mention du site de Machu Picchu, dont il apprit l'existence lors de son voyage dans les sierras andines en 1874-75. Il tenta d'en trouver le chemin, mais ne put jamais l'atteindre.

Il avait été précédé de peu par George Squier, diplomate anglais arrivé au Pérou en 1863 qui explora à fond le territoire andin, s'attachant à photographier, dessiner, mesurer et établir des plans. Son œuvre est assez comparable à celle qu’avaient réalisé Stephens et Catherwood sur le monde Maya. C'est par lui, notamment, que l'on connaît l'état ancien du site de Pachacamac ou du fameux pont suspendu qui surplombait le vertigineux canyon de l'Apurimac sur la route de Cuzco. A son retour à Londres, il publia en 1874 le résultat de ses travaux Peru, Incidents of travel and Explorations in the Land of the Incas. Cet ouvrage est universellement connu et estimé grâce aux gravures (près de 400 illustrations) qui furent tirées de ses dessins. On peut en dire qu'il constituait "l'encyclopédie archéologique des Andes centrales du 19e siècle". Par ailleurs, son mérite est d'avoir tenté pour la première fois, en comparant les styles des monuments et en utilisant le résultat de ses fouilles, spécialement de celles pratiquées à Pachacamac, d'établir une ébauche de chronologie relative des anciennes civilisations péruviennes.

Le pont suspendu sur l'Apurimac, dessin de George Squier


Antonio RAIMONDI (1826-1890)
Dans cette lignée de voyageurs et savants, l’une des plus grandes figures de l'exploration archéologiques et scientifiques du Pérou au 19e s. est celle du naturaliste italien Antonio Raimondi, né à Milan, mort à San pedro de Lloc. Arrivé au Pérou en 1850, il parcourut l'ensemble du pays, effectuant de nombreuses observations sur la faune, la flore, la minéralogie et la géographie de la côte et des Andes. Il est un des premiers a avoir découvert l'importance des ruines de Chavin; il y fit d'ailleurs, dans les environs, une fabuleuse trouvaille : celle de la stèle qui porte son nom et qui est conservée au musée national d’archéologie de Lima. Son goût pour la botanique le conduisit aussi, dans la région de Huaraz, à décrire la fameuse broméliacée - caractéristique de cette région - à laquelle on donne aujourd'hui le nom de puya Raimondi. Sur la côte, en 1853, il attira l'attention sur les pouvoirs fertilisants du guano des îles de Chincha, qui allait être intensivement exploité par la suite.
Plus tard, Cayetano Heredia le chargea d'organiser le Musée d' Histoire Naturelle. En1856, il fonda la Faculté de Médecine de Lima et en1861 la chaire de chimie analytique.
Auteur prolifique, il dut se résoudre à abandonner l'enseignement des sciences naturelles pour se consacrer à la rédaction de son oeuvre monumentale El Perú, et rédigea ensuite de nombreux articles, rapports et mémoires ayant trait aux richesses naturelles du pays. Il fit don de sa très riche collection de plantes et de minéraux au Musée National de Sciences Naturelles, qu'il avait fondé et qui porte désormais son nom.

Au rayon des historiens, l'américain William Prescott, qui avait déjà publié un ouvrage sur la conquête du Mexique en 1843, est aujourd'hui reconnu pour avoir été le premier grand historien "moderne" de la conquête du Pérou. Pour y parvenir, il amassa une documentation considérable qu'il utilisa, pour la première fois, sous un angle critique et impartial. Son Histoire de la Conquête du Pérou (1848) est divisée en cinq parties : la première traite de la civilisation des Incas et de la géographie du Pérou, la seconde de sa découverte, la troisième de sa conquête par les Espagnols; les deux dernières sont consacrées aux guerres civiles entre conquistadores et à la pacification de la colonie sous l'autorité des vice-rois. Sans cesse rééditée depuis sa parution, l'oeuvre de Prescott reste, en termes d'histoire généraliste, un exemple de clarté et de méthode qui n'a pas été surpassé.

Ernst W. MIDDENDORF (1830-1908)
Le grand pionnier allemand de l'archéologie péruvienne, avant Max Uhle. Médecin de formation, Middendorf parcourut le Pérou pendant près de 25 ans, décrivant - comme Antonio Raimondi - tout ce qu'il voyait sur à peu près tous les sujets : géographie, géologie, histoire, us et coutumes, folklore, dialectes et surtout archéologie. Il fut l'un des premiers à étudier de manière approfondie le site de Chavin de Huantar dont il réalisa le premier reportage photographique (1895) et à identifier l'influence stylistique de Chavin sur certaies cultures de la côte nord du Pérou. Auparavant, en 1886, il avait inventorié et photographié le principaux sites de la vallée du rio Rimac aux environs de Lima; on lui doit une cartographie détaillée de toute la zone de Maranga-Lima, avant qu'elle ne soit en partie absorbée par l'urbanisation au 20e s. Il résuma l'ensemble de ses recherches dans son ouvrage Peru, publié pour la première fois en allemand en 1894, traduit en anglais, français et espagnol après sa mort.

Un autre nom fameux est celui de Sir Clements Markham. Cet anthropologue et grand voyageur anglais parcourut tout le Pérou entre 1852 et 1860 et apprit le quechua. Il laissa plusieurs oeuvres importantes, comme un vocabulaire de la langue des Incas et une grammaire de quechua. Il traduisit pour la première fois en anglais plusieurs chroniques importantes de l'histoire du Pérou et de la conquête espagnole. Son titre le plus connu, The Incas of Peru paru à Londres en 1910, fut traduit plus tard en espagnol et a été constamment réimprimé depuis. On le trouve en bonne place dans les petites librairies et chez les marchands de souvenirs de Cuzco.


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©Daniel DUGUAY / dduguay@club-internet.fr


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