LIMA préhispanique :
la vallée des pyramides

Longtemps ignoré, méprisé et dégradé, le passé préhispanique de la capitale du Pérou, jadis assez mal connu et éclipsé par la gloire des grandes heures coloniales, ressurgit peu à peu au gré des fouilles et des travaux archéologiques menées dans les dernières décennies. La vallée du Rio Rimac fut en fait un grand centre de peuplement et d'échanges commerciaux avant même que l'hégémonie inca ne se soit étendue sur la côte. Il en reste une foule de vestiges, de taille plus ou moins considérable, sous la forme de plusieurs dizaines de grandes huacas ou structures pyramidales érigées en briques d'adobe.
Certaines ont été restaurées, d'autres largement amputées et le reste, c'est-à-dire la plus grande partie de ce riche passé, a malheureusement été arasé à tout jamais par les plans d'urbanisme des années 50 et 60 qui ont vu les quartiers périphériques de Lima s'accroître en fonction de l'augmentation rapide de sa population.
En effet, jusqu'à l'arrivée des Espagnols, toute la zone s'étendant de l'actuel aéroport jusqu'au sanctuaire de Pachacamac était une agreste campagne où se dressait une centaine de pyramides !

La culture Maranga-Lima
La plupart de ces constructions, dont certaines étaient gigantesques, furent l'oeuvre de la culture Maranga-Lima qui fleurit entre 200 et 650 après J.-C. Succédant à une phase formative fortement influencée par la culture de Chavín, elle proviendrait d’une expansion vers la côte de peuples venus de la sierra et de fait, les historiens lui attribuent une origine aymara prouvée par la découverte en 1925, dans la pyramide de Maranga, de vases cérémoniels en forme de keros du style de Tihuanaco.


Frise de Cerro Culebras et textile funéraire de la culture Lima (style dit "interlooking").

Depuis le début de sa phase de développement, la culture Lima entreprit d'édifier de grandes pyramides à degrés sans doute vouées aux cultes agraires, les huacas, qui présentaient, à côté, une série de constructions annexes (dépôts, magasins), voisinant avec les villages de paysans qui travaillaient sur ses terres. La technique décorative associée à la culture Lima, que l'on rencontre le plus souvent dans sa céramique, ses textiles ou sur les frises de certains monuments, est faite de motifs géométriques entrecroisés, style que les archéologues applellent "interlooking". Le meilleur exemple en est une frise murale découverte par Stumer en 1953 dans la huaca de Cerro Culebras (vallée du rio Chillón). Ce style est d'ailleurs assez répandu sur la côte centrale pendant toute la période dite "Intermédiaire Initial" (de 0 à 600 après J.-C.).
Vers 700 ou 900 après J.-C, la culture Maranga-Lima se délite avant de disparaître sous le choc d'une invasion, probablement celle des guerriers du royaume Wari, venus de la Sierra Centrale et qui imposèrent leur culture sur une grande partie de la côte du Pérou.

Ce que l'on peut encore voir aujourd'hui

Temple de Garagay
Avenidas Angélica Gamarra et Universitaria, district de San Martin de Porras (non ouvert à la visite).
Important site archéologique proche de l'aéroport de Lima, ce centre cérémoniel en U, composé de trois pyramides, est l'un des exemples les plus anciens de l'influence Chavín sur la Côte centrale. Il remonterait en effet à 1200 avant J.-C., c'est-à-dire qu'il serait quasiment le contemporain du Temple Ancien de Chavín de Huantar.
Les trouvailles faites lors des premières excavations réalisées en 1959 ont malheureusement été saccagées dans les années suivantes. Non protégé, le site fut utilisé comme carrière par une briquetterie dans les années 70 et on érigea même à son sommet un pylône d'électricité. Le temple fut à nouveau fouillé en 1975 par les archéologues Roger Ravines et William Isbell qui y ont reconnu trois étapes successives de construction, étalées sur plus de 300 ans. Ils découvrirent surtout une longue frise de bas-reliefs polychromes ornant la façade du temple, qui a fait l'objet d'une récente restauration, et recueillirent de très nombreuses pièces de céramique et de textiles dont l'étude par radio-datation détermina une antiquité légèrement antérieure à celle de Chavín de Huantar.


Restauration d'un élément du temple de Garagay

Huaca Wallamarka
Jr. Nicolás de Rivera 201, San Isidro

Aussi dénommée Huaca de San Isidro ou "Pan de Azúcar" pour sa hauteur appréciable, elle forme un contraste assez saisissant avec les gratte-ciels du quartier d'affaires de Miraflores qui l'entourent. Elle a été complètement restaurée et ses alentours  transformés en agréable parc verdoyant et fleuri.
Cette imposante pyramide fut certainement le grand centre cérémoniel de la peuplade des Wallas (ou Huallas), d'origine montagnarde et sans doute venus dans la vallée du Rimac au temps de l'hégémonie Tiahuanaco-Huari (vers 900). Elle dut également servir de nécropole, à en juger par les quelque 500 momies qui y furent découvertes en 1958 par l'archéologue péruvien Arturo Jiménez Borja, soigneusement assises et empilées dans de petites niches, dont celle d’une jeune femme - sans doute une prêtresse – à l'extraordinaire chevelure, nattée et tressée, mesurant 2,15 m de long !


La Huaca Wallamarka - La momie aux longs cheveux découverte en 1958.

Attenant à la pyramide, un petit musée présente les céramiques, pièces de tissus et bijoux qui furent découverts dans le sanctuaire. Parmi ces derniers, on relève des colliers en perles de coquillages, de hauts bracelets, des vases du type "kero" en argent martelé et ciselé et une remarquable collection de tissus funéraires.

Huaca Pucllana
General Borgoño cuadra 8, Miraflores.

Aussi connue sous le nom de Huaca Juliana, cette autre pyramide de dimensions imposantes, construite en briques d’adobe par la culture Maranga-Lima vers 500 après J.-C. a été sauvée de peu en 1967, lors d’une première campagne de fouilles. Sa restauration est plus heureuse que celle de la huaca Wallamarka. Le petit Musée du site présente quelques objets découverts lors des fouilles ainsi qu’une sépulture reconstituée. Elle abrite en outre un des meilleurs restaurants touristiques de Lima

Pyramides de Maranga
Aujourd’hui noyée dans l’urbanisme du district de San Miguel et en partie recouverte par les installations du campus de l’université San Marcos, la zone archéologique de Maranga présente encore d’imposants vestiges et laisse entrevoir l’importance de ce que fut la capitale de la culture Maranga-Lima (200-650 après J.-C.). Sur une aire avoisinant 400 ha, on y relève les bases de 14 grandes pyramides et d’une cinquantaine d’édifices plus petits, ce qui en fait une des plus vastes zones archéologiques du Pérou. Ces pyramides furent construites en briquettes d’adobe suivant une ligne orientée à 25° au nord-ouest, correspondant à la ligne du littoral voisin. Elles ont été successivement étudiées par E. W. Middendorff (1894), Max Uhle (1903), Jacinto Jijón y Camaño (1925), Alfred L. Kroeber (1925), Villar Córdoba (1935), Pedro Alarcón (1971) et plus récemment e Ruth Shady y Joaquín Narváez (1999).


Le site de Maranga, photographié par E.W. Middendorf en 1894

De la période initiale datent les plus grandes stuctures : le Huaca San Marcos (dite communément pyramide de Maranga) est située entre les avenues Venezuela et Precursores. Edifiée sur 5 plateformes superposées. Elle mesure 332 m de long sur 137 de large et, malgré les destructions, culmine encore à plus de 30 m de haut. De l’autre côté de l’av. Venezuela, la Huaca Concha, qui mesurait 284 m de long sur 180 de large était bâtie sur 3 plateformes : elle a failli disparaître tout à fait lors de la construction du stade universitaire dans les années 1940.

Pendant la période dite « Horizon Moyen » (650-900) correspondant à la période d’hégémonie de l’empire Huari, le site de Maranga semble délaissé au profit de Cajamarquilla, principal centre du pouvoir Wari dans la vallée du rio Rimac; ce n’est qu’après 900 (Intermédiaire Tardif) que l’on retrouve des traces de nouvelles constructions, érigées un peu plus au sud que les précédentes : la Huaca Tres Palos dont le sommet était occupé par un observatoire astronomique, et la Huaca Cruz Blanca, aux fonctions administratives et la Huaca La Palma, pyramide à rampe centrale entourée d’un mur d’enceinte à trois portes, sur un modèle inspiré des constructions du site de Pachacamac, dont elle dépendait. Ces ultimes réalisations relèvent de la culture Huari-Ichimay, dernier maillon chronologique de la culture Lima, avant que les Incas ne s’installent sur cette partie du littoral péruvien (de 1450 à la conquête espagnole).

L’apport des Incas à Maranga fut plus limité qu’à Pachacamac : ils édifièrent un petit palais dans la Huaca La Palma, dont il reste quelques vestiges reconnaissables par l’emploi de la croix andine sur des frises décoratives et quelques bâtiments fonctionnels adossés au mur d’enceinte. On estime qu’après l’arrivée des Espagnols, la zone fut définitivement abandonnée et ses terrains agricoles répartis entre plusieurs encomiendas.
Aujourd’hui, c’est à l’intérieur du zoo de Lima, le Parque las Leyendas, que l’on peut se faire la meilleure idée de l’importance de la pyramide de Maranga.

Mateo Salado
Parque de la Bandera, en limite de Lima, Breña et Pueblo Libre

Ce nom est donné aux vestiges, aujourd'hui assez dégradés, d'un ensemble de pyramides de la culture Maranga-Lima qui subsistent encore à l'ouest du centre de Lima. On peut s'en faire une idée depuis le Parque de la Bandera, grand rond-point en limite des districts de Lima, Breña et Pueblo Libre. Les constructions, étagées sur des terrasses, sont faites en gros blocs d'adobes et présentent des restes d'habitations dont on suppose qu'elles servirent de palais au représentant de l'Inca, lorsque la vallée du Rimac passa sous son contrôle.
Curieusement, le nom de ce complexe archéologique est dû à un français, Mathieu Salade. Venu à Lima au 16e s. il s'établit dans les parages et y commença une campagne de fouilles et d'excavations qui attira sur lui les foudres du tribunal de l’Inquisition de Lima qui le déclara hérétique et le condamna au bûcher en 1573. Un martyr peu connu de l’archéologie…

Puruchuco
Carretera central km 12, Vitarte (indiqué par un panneau à droite de la route).

A une bonne dizaine de km du centre de Lima), se dresse sur le versant d'une colline un ancien palais ou résidence d'un curaca pré-incaique, construit en blocs d'adobe. Il fut réaménagé au temps des Incas où il dut servir de "centre administratif" ou peut-être même de "trésorerie" si l'on en juge par les découvertes qui y furent faites : des poids et des balances ainsi qu'un bon nombre de kipus, ces nœuds de cordelettes servant aux comptables incas. Au moment de la conquête espagnole, on sait qu'il fut donné en encomienda  à l'un des compagnons de Pizarro, Miguel de Estete.
Puruchuco est l'un des rares, sinon le seul site de l'agglomération de Lima à présenter un ensemble aussi complet de constructions incas (si ce n'est le temple du Soleil et la maison des vierges du Soleil de Pachacamac). Le circuit guidé s’achève par la visite de l’intéressant musée qui porte le nom de l’archéologue Arturo Jiménez Borja (1909-2000), qui sauva Puruchuco de la destruction et remit patiemment le site en valeur, entre 1953 et 1960.

Des momies dans la cour de l’école!
C'est sur des terres attenantes (au revers de la colline au pied de laquelle se niche Puruchuco), dans le bidonville de Tupac Amaru - et dans une cour d'école - qu'a été mise à jour au début 2002, une vaste nécropole souterraine, d'une importance comparable à celles d'Ancon et de Nazca, livrant à ce jour plus de 120 momies enveloppées dans leur "fardo" funéraire. Les momies sont contemporaines de l'époque inca (15e s.). Les archéologues ont baptisé la zone du vocable de Puruchuco-Huaquerones (ce mot signifiant "excavations").


A g. : site de Puruchuco - A dr. photo aérienne (1944) donnant une idée de l'étendue de la cité de Cajamarquilla.

Cajamarquilla
A 15 km au Nord-Est de Lima, s'étendent sur 1 670 000 m2 les vestiges d'une des plus grandes cités du Pérou précolombien, placée au centre des échanges commerciaux entre la côte et la sierra centrales. Constituée d'un nombre impressionnant de rues, d'esplanades, de quartiers d'habitation, de magasins construits pour la plupart en grands blocs d'adobes, elle dut compter près de 15 000 habitants à son apogée. On y distingue plusieurs secteurs bien distincts, délimités par de grandes murailles d'adobe et parfois ordonnés autour d'une structure pyramidale : Laberinto, Muelle, Nievería, pour ne citer que les plus intéressants. On a longtemps cru que Cajamarquilla était l'une des capitales régionales de l'empire Wari lorsque celui-ci connut son apogée (vers l'an 1000). En fait, des études récentes ont confirmé qu'elle était déjà désertée à cette époque, sans doute à cause des débordements ou d'une alluvion du rio Rimac.
La ville fut explorée par Adolph Bandelier, George Squier en 1864 qui en dressa plusieurs plans et des dessins, puis Max Uhle qui excava une trentaine de tombes entre 1905 et 1908. En 1944, J.C. Tello y réalisa d'importantes fouilles archéologiques qui révélèrent une occupation du site remontant à la culture Lima. Dans les années 1980, Arturo Jimenez Borja restaura complètement le secteur le mieux conservé, celui de Laberinto. Les dernières recherches, celles de Rafael Segura (2001) et José Joaquín Narváez (2006-2007) révèlent une fondation et une occupation par la culture Lima, entre 600 et 750, puis une période d'abandon correspondant justement à la période d'influence Tiahuanaco-Huari, suivie d'une réoccupation lors de la période Ychima-Lima, de 1000 jusque vers 1450. La plupart des constructions subsistantes remontent à cette dernière phase.

Enfin, on ne saurait achever ce tour d'horizon du passé préhispanique de la capitale du Pérou sans recommander vivement la visite du site de PACHACAMAC



Sommaire / Introduction / Archéologie / Pages du Dictionnaire A, B, C... / Bibliographie

©Daniel DUGUAY / dduguay@club-internet.fr



du même auteur, si vous voulez visiter le Pérou...