la Conquête espagnole

 

Comment une poignée de soldats espagnols dépenaillés parvint-elle à soumettre la plus puissante des dynasties d'Amérique du Sud et ses six millions de sujets ? Sans doute parce que l'Empire inca, parvenu à son apogée un siècle plus tôt, entrait dans la phase irréversible de son déclin. D'autant plus qu'il était alors en proie à une terrible guerre civile qui l'avait profondément ébranlé.

En 1532, Francisco Pizarro débarquait à Tumbes, au nord du pays, dans l'intention de conquérir l'empire inca, dont il connaissait l'existence et la richesse. Il avait suivi, quelques années auparavant, la côte Pacifique, recueillant ainsi de précieux renseignements sur ce royaume puissant, s'étendant plus au sud. Il savait aussi que le grand Inca Huayna Capac (régnant entre 1493 et 1525) était mort, laissant le pays divisé entre deux de ses fils: Huascar, I'enfant légitime, conçu par son épouse, et Atahualpa, le fils bâtard, mais préféré... Huayna Capac avait établi Huascar comme souverain à Cuzco et Atahualpa comme souverain de Quito.

 

A sa mort ses deux fils revendiquèrent le droit au trône et l'empire Inca connut son premier conflit interne. Lorsque en 1532. Pizarro revint pour la troisième fois au Pérou, Atahualpa avait vaincu les armées de son demi-frère et campait à
Cajamarca, prêt à s'emparer de Cuzco. Le pays était alors partagé en deux camps ennemis, assoiffés de haine et de vengeance. Le moment était donc propice pour mettre à profit la guerre civile qui opposait les militants des deux prétendants au trône, au milieu du désordre général. Les Espagnols surent très vite profiter de la confusion engendrée par cinq ans de luttes fratricides et tirer parti des légendes indiennes qui prédisaient l'arrivée de grands dieux blancs envoyés par le Soleil.

Le piège de Cajamarca
Quand Pizarro invita Atahualpa à le rencontrer sur la place de Cajamarca, ce dernier accepta sans méfiance.. D'un côte, un jeune monarque, encore mal à l'aise sur son trône neuf, ignorant les intentions exactes de son interlocuteur, et désireux de les connaître. De l'autre, un conquérant avide d'or et de richesses, admirable de bravoure et méprisable de cupidité. Le rendez-vous était en fait un piège... L'lnca pénétra sur la grande place de Cajamarca sur sa litière : le frère Valverde lui présenta la Bible, et lui demanda d'adopter la foi de Jesus et la suzeraineté de Charles Quint. Atahualpa repoussa orgueilleusement le livre saint et le jeta à terre. Sacrilège pour les Espagnols, et signal de la tuerie pour les soldats embusqués qui fondirent sur l'escorte de l'Inca. Tout se déroula très vite : plus de deux mille indiens sans défense furent massacrés, sans que I'on enregistrât une seule perte du côté espagnol. Atahualpa, jeté à bas de sa litière, fut capturé par Pizarro lui-même. Ce terrible massacre eut lieu dans les derniers jours du mois de Novembre 1532.

L'épisode du Cuarto del rescate (Chambre du rachat)
Désormais prisonnier des Espagnols, l'Inca Atahualpa qui avait deviné et compris la soif de richesses des Conquistadors, offrit à Francisco Pizarro un marché en échange de sa liberté :
"L'Inca dit au gouverneur qu'il savait parfaitement ce qu'ils étaient venu chercher. Celui-ci lui répliqua que ses guerriers ne voulaient pas autre chose que de l'or pour leur empereur et pour eux-mêmes" (Francisco de Jerez : Relation véridique de la Conquête du Pérou, 1534).
Francisco Pizarro alla voir l'Inca dans la salle où il était détenu et lui demanda quelle quantité d'or et d'argent il pourrait lui fournir. Alors, orgueilleusement, Atahualpa leva le bras au-dessus de sa tête et fit comprendre aux Espagnols que la pièce où il se trouverait serait remplie d'or. C'est le fameux épisode du Cuarto del Rescate (chambre du rachat, ou de la rançon), que l'on visite aujourd'hui encore, dans la ville de Cajamarca.
Cette salle mesurait 22 pieds de long sur 17 de large (6,70 m X 4,20 m). On la remplirait jusqu'a une ligne blanche tracée a mi-hauteur; soit un peu plus de 8 pieds (2,45 m). Jusqu'a ce niveau, il se faisait fort d'y faire entasser différents objets d'or, tels que jarres, pots, tuiles, et bien d'autres encore. En argent, il donnerait deux fois le volume de cette piéce remplie jusqu'au plafond. Le tout serait livré dans Ies deux mois à venir.
Les Espagnols restèrent stupéfaits devant une telle proposition. Cette offre dépassait l'imagination ! Lorsque l'lnca l'eut formulée, le gouverneur, avec I'approbation de ses lieutenants, fit appeler un secrétaire pour consigner cette proposition et lui conférer la valeur d'un engagement solennel. Le volume de la pièce ainsi décrite par Francisco de Jerez, le secrétaire de Pizarro, était de 3000 pieds cubes, soit de 88 métres cubes.


Le Cuarto del rescate, ou "chambre du rachat", à Cajamarca (photo D. Duguay))

La suite de l'histoire est connue : de toutes les provinces du Pérou, affluèrent des convois d'or et d'argent. Mais lorsque leurs exigences furent satisfaites, les Espagnols, à la différence de l'Inca, les Espagnols ne tinrent pas parole. Atahualpa fut finalement condamné pour trahison au terme d'une parodie de procés et fut éxécuté sur la grand-place de Cajamarca le 26 Juillet 1533.

Certains chroniqueurs affirment que la mort de l'Inca fut tramée par un interprète indien issu d'une ethnie hostile aux incas, qui, pour venger les siens, traduisit de façon volontairement erronée certaines informations. D'autres que Pizarro craignait que les généraux d'Atahualpa, parmi lesquels les terribles Quizquiz, Ruminahui et l'habile Chalcuchimac n'orchestrent une révolte pour délivrer leur souverain.
A la mort d'Atahualpa, l'empire inca s'effondra. Les Espagnols marchèrent sur Cuzco dont ils s'emparèrent le 15 Novembre 1533, mettant la ville à sac, arrachant les lourdes plaques d'or qui ornaient le temple du Soleil et profanant les momies des anciens Incas. Ensuite, ils pillèrent systématiquent l'empire, détruisant temples et oeuvres d'art. Cherchant une capitale moins exposée et un port qui leur permettrait à la fois d'expédier les richesses du Pérou vers l'Espagne et d'en recevoir des approvisionnements ou du renfort, Pizarro fonda Lima en 1535. Cette nouvelle cité allait bientôt devenir le centre rayonnant de l'Amérique espagnole. La grande révolte menée par Manco Inca (un autre fils de Huayna Capac) en 1536 n'y changea rien : il mit le siège devant Cuzco, mais ne parvint pas à en chasser les Espagnols. Au contraire, ceux-ci le forcèrent a trouver refuge dans l'inaccessible cordillière de Vilcabamba. Après de longues années de guerrilla, le dernier Inca, Tupac Amaru y fut finalement capturé, avant d'être éxécuté en 1572.

Les Indiens, répartis entre les conquisatores par le féroce système colonial de l'encomienda, furent réduits en esclavage et au travail forcé dans les haciendas et dans les mines, la plus fameuse - et la plus meurtrière - étant celle de Potosi, en Bolivie. Le système d'agriculture collective, qui constituait la base de la société inca, se disloqua, de même que les très anciens aqueducs et autres infrastructures d'irrigation.

Les conséquences de ces évènements se répercutèrent sur la population indigène du Pérou, estimée à 6 millions d'habitants en 1500, et qui n'en comptait plus que 1 200 000 en 1561. Ce génocide organisé, l'un des plus grands de l'Histoire - contre lequel tentèrent de s'élever les oeuvres humanistes du frère Bartolomé de Las Casas et du père José de Acosta - contribua à forger ce que l'on appelle la "Légende noire de l'Espagne" en Amérique latine. La région la plus touchée fut la côte, qui, encore actuellement, compte une population indigène reduite. Les causes de cette chute démographique sont d'abord Ies guerres, mais aussi et surtout les maladies apportées par les espagnols (variole, rougeole), contre lesquelles les indigènes n'avaient aucune défense et, en dernier lieu, les bouleversements économiques engendrés par le passage brusque d'un type d'économie à un autre, sans compter les conditions de travail inhumaines imposées par Ies conquistadors.

La religion catholique fut imposée aux populations autochtones sous la contrainte (ce fut la phase dite de "l'extirpation de l'idolâtrie") et le Pérou administré avec une poigne de fer par des gouverneurs coloniaux qui s'enrichirent en pillant sans vergogne les ressources du pays au profit de la métropole.
Cependant, la culture et les traditions indiennes devaient survivre jusqu'à nos jours. Dans les villages reculés, un pourcentage encore très important d'Indiens continue à ne parler que le quechua et l'aymara. Si une grande partie des coutumes vestimentaires d'antan se sont perdues, persistent en revanche des cérémonies et des fêtes d"origine inca dont seuls les noms ont changé, afin de composer avec la tradition chrétienne. Sans parler de l'artisanat et des coutumes agricoles, les genres musicaux, tels le huayno ou le yaravi, les carnavals et nombres de danses témoignent encore d'une culture que rien n'a pu détruire.



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Pour en savoir plus sur les civilisations de l'ancien Pérou, consultez le...

©Daniel DUGUAY
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