![]() |
Guide du Pérou |
![]() |
Monastère de Santa Catalina :
une ville dans la ville

Une place du monastère de Santa Catalina (photo D. Duguay)
En partant de la cathédrale et en remontant la rue Santa Catalina, l'une des plus typiques d'Arequipa, on parvient à l'entrée de ce couvent voué à sainte Catherine de Sienne bâti à partir de 1580 sur un terrain de 2 ha, grâce aux dons d’une veuve fortunée, doña María de Guzmán. Construit en vue d’héberger les cadettes des familles espagnoles ou créoles les plus distinguées de la ville (les aînées étant destinées au mariage), il forme aujourd’hui encore l’ensemble conventuel le plus vaste et l’un des mieux conservés de toute l'Amérique. Ses portes restèrent closes jusqu'en 1970, date à laquelle il fut ouvert au tourisme, bien qu'une partie des bâtiments reste fermée et abrite encore une vingtaine de religieuses. Le pape Jean-Paul II le visita en 1985 lors de son voyage au Pérou.
Derrière ses hauts murs de sillar, on y découvre une véritable ville dans la ville, avec ses 20 500 m2 d’églises et de chapelles, ses ruelles pavées aux noms de villes espagnoles, ses passages, ses cloîtres, ses fontaines, son lavoir, ses patios fleuris et ses maisonnettes peintes dans une symphonie de couleurs ocre jaune, orange abricot, bleu indigo et rouge brique.
Le monastère accueillait les novices en échange du versement d’une dot importante, en pesos d’or ou bien en mobilier, tableaux, bijoux et pièces d’orfèvrerie Au temps de sa splendeur, début 18e s., cet enclos chatoyant abritait plus de 500 personnes, pour moitié des religieuses, pour l’autre des servantes et esclaves (noires), la congrégation comptait aussi des petites orphelines ou des filles abandonnées, des femmes battues cherchant refuge, etc. Le nom des nonnes les plus illustres - la plupart issues de l'aristocratie de la ville, telles Ana de Los Angeles Monteagudo, María Murtado, Rosa Cardenas, Dolorès Llamosas, etc, demeure gravé à l'entrée des cellules, on devrait dire des "suites" car les recluses pouvaient conserver leur train de vie et disposer d’un véritable petit appartement, incluant parfois salon meublé et décoré, chambre principale et chambre de service pour leur servante, cuisine et jardinet….

Dans le labyrinthe du monastère de Santa Catalina (photos D. Duguay)
|
Flora Tristan au couvent de Santa Catalina Depuis le début du 18e siècle, le couvent de Santa Catalina, n'avait pas une réputation d'extrême rigueur. En 1833, Flora Tristan, avant qu'elle ne devienne radicalement féministe et révolutionnaire, entreprit un long voyage au Pérou et arriva à Arequipa dans l'espoir de récupérer auprès de sa famille paternelle une partie de l'héritage de son père, mort prématurément à Paris. Mais la ville était en proie à de violents troubles politiques, opposant des factions rivales. Elle alla chercher refuge au couvent de Santa Catalina avec ses tantes et fut toute étonnée du luxe qu'elle y découvrit ainsi que la légèreté de ses pensionnaires, qui ne portaient pas de voile. Elle a relaté son séjour au monastère dans Les Pérégrinations d'une paria : "Quels hourras quand j'entrai ! A peine la porte fut-elle ouverte que je fus entourée par une douzaine de religieuses qui me parlaient toutes à la fois, criant, riant et sautant de joie. (...) Celle-là écartait ma robe par-derrière, parce qu'elle voulait voir comment était fait mon corset. Une religieuse me défaisait les cheveux pour voir comme ils étaient longs; une autre me levait le pied pour examiner mes brodequins de Paris; mais ce qui excita surtout leur étonnement, ce fut la découverte de mon pantalon." Les dîners où elle fut invitée dans les "cellules" furent "des plus splendides" : "Nous eûmes de la belle porcelaine de Sèvres, du linge damassé, une argenterie élégante et, au dessert, des couteaux en vermeil. Quand le repas fut terminé, la gracieuse Manuelita nous engagea à passer dans son retiro (salon). Elle ferma la porte de son jardin et donna des ordres à sa première négresse, pour que nous ne fussions point dérangées." De retour à Paris, elle publia son récit de voyage en 1838, qui fit grand bruit et notamment à Arequipa. L'église romaine se fâcha et nomma une sévère dominicaine, Josefa Cardeña, remettre un peu d'ordre à Santa Catalina, tandis que l'oncle de Flora, le général Pio Tristan, contraint de désavouer publiquement sa nièce, fit brûler son livre en autodafé sur la grand-place de la ville ! |
La visite débute par le locutorio, le parloir où les soeurs communiquaient avec le monde et vendaient leurs produits, à l’abri des regards et des touchers derrière un épais treillage de bois. Les soeurs n’étaient autorisées qu’à une visite par mois, et toujours en compagnie d’une autre religieuse chargée d’assurer la surveillance. Une fois franchi le patio El Silencio, on entre dans le noviciado, le cloître des novices, que les filles pouvaient intégrer dès l’âge de 14 ans. Datant de 1805, il rassemble sous ses voûtes en briques de style roman, une belle collection de toiles de l’école de Cuzco du 18e s. qui représentent les 55 litanies de la Vierge. On peut observer une chambre de novice avec son lit et ses objets usuels. Près de là, une petite chapelle de style néoclassique renferme un beau retable en stuc doré.
Irradiant d’un lumineux bleu cobalt, le magnifique claustro Los Naranjos (cloître des Orangers, 1738), de plan carré, présente au centre une évocation du Golgotha avec ses trois croix. Des fresques florales ornent le sommet des piliers, tandis que des tableaux le long des galeries figurent des exercices spirituels visant à purifier l’âme.

Fresques du Cloître des Orangers (Photo D. Duguay)
Au fil de la visite, vous parcourrez un labyrinthe de ruelles portant le nom des villes andalouses dont les carmélites étaient issues : Malaga, Tolède, Séville, Grenade, Cordoue. La calle Málaga conduit tout droit à la salle Zurbarán, où trônent diverses toiles dont un saint Jérôme attribué à Diego Quispe Tito. La calle Córdoba, où des pots de géraniums rouges se détachent sur les murs blancs, longe le potager que cultivent les soeurs aujourd’hui. On enchaîne par la calle Toledo, la plus longue et la plus étroite, bordée par les cellules les plus anciennes, aux toits de tuile : les intérieurs ont été reconstitués avec un mobilier d'époque. La calle Sevilla, coupée par un escalier et surmontée d’une arche, mène au lavoir, étonnante série d’énormes demi-jarres en terre cuite desservies par un canal central. Les dernières religieuses y faisaient encore leur lessive avant l'ouverture de cette partie du monastère au public. Sur la gauche, une petite porte (toujours close) indique l'existence du vieux cimetière du couvent.
La calle Burgos conduit quant à elle aux anciennes et vastes cuisines, avec leurs mortiers, fours, marmites et instruments d’époque. La calle Granada, enfin, débouche sur la délicieuse plaza Zocodober, où trône une fontaine. Elle faisait office de marché, où les religieuses troquaient leurs produits. Plus loin, on aperçoit l’ancien réfectoire, qui fut utilisé jusqu’en 1965. Non loin de là,une des cellules fait l'objet d'une dévotion toute particulière : celle de sœur Ana de Los Angeles Monteagudo, élue supérieure en 1648, qui fut béatifiée en 1985 par le pape Jean Paul II pour les miracles qui lui sont attribués.
Datant de 1721, le cloître majeur, dans les tons orangés, présente une belle série de peintures qui narrent la vie de Jésus et de Marie. Il est bordé par une ligne de confessionnaux. Juste à côté, on entre enfin dans l’iglesia de Santa Catalina, plusieurs fois restaurée, mélange de style baroque et mudéjar, pour contempler son autel en argent et sa belle statue de sainte Catherine sous son baldaquin. En contrebas, la visite s’achève par la pinacothèque, sise dans l’ancien dortoir, où sont exposées une centaine de peintures de l’école de Cuzco (17e-18e s.)
©Daniel DUGUAY
dduguay@club-internet.fr